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Drôle de Godard

10h16 - 11 septembre 2017 - par Info Haute-Vienne

Avec « Le Redoutable », Michel Hazanavicius moque gentiment Jean-Luc Godard dans un biopic décalé.

L'échec en salles de son dernier film, « La Chinoise », avec sa compagne dans le rôle principal, pousse Jean-Luc Godard à se remettre en question. Son histoire d'amour en fera les frais. C'est en découvrant l'autobiographie d'Anne Wiazemsky que Michel Hazanavicius a eu l'idée d'aborder la vie de ce grand nom de la Nouvelle Vague. Il devient un personnage à la dimension hilarante irrésistible lorsque ses travers en public et dans la sphère privée ressortent. Ce n'est pas tant l'homme réel qu'il recrée sous nos yeux mais sa mémoire dans l'inconscient collectif, l'approche humoristique se révélant alors particulièrement pertinente.

« Jean-Luc Godard est venu à moi à travers ce livre qui raconte Mai 68, la crise qu'il traverse, sa radicalisation et le délitement de leur mariage, jusqu’au point de rupture. Quand j'ai contactée Anne Wiazemsky, elle avait déjà refusé plusieurs offres d’adaptation. Je trouvais cela d’autant plus dommage que le livre m’avait paru très drôle. Elle a tout de suite réagi en disant qu’elle aussi trouvait cela très drôle, mais que personne ne lui en avait fait la remarque. C’est ainsi que tout a commencé. Le film est plutôt tendre, respecte le personnage mais tente de le mettre en difficulté, toujours à travers les yeux d'Anne. Je l'ai abordé comme un personnage de fiction, parfois même comme un clown, c'est presque du Pierre Richard. Il glisse dans la rue, perd ses lunettes, se trompe sur plein de trucs… »

Louis Garrel a effectué un travail d'assimilation impressionnant, d'abord physiquement, mais aussi pour adopter la personnalité de cet artiste plus grand que nature dans une période majeure de son parcours. Son tempérament est changeant, charmeur par moments, égocentrique à d'autres. Il l'incarne avec une bonhomie désarmante, même lorsqu'il révèle des pans ombrageux de son caractère, son optique et celle du réalisateur étant parfois opposées.

« Louis a su amener toute une gamme de nuances pour humaniser le personnage. Il a à la fois un côté élitaire, très pointu et un potentiel comique énorme parfait pour le cinéma populaire que j'aime faire. On s'est réparti les tâches : Louis pensait à séduire les spectateurs qui adorent Godard, et moi ceux qui ne l’aiment pas ou qui – ils sont beaucoup plus nombreux – n’en pensent rien de particulier. Louis était le garant d'un grand respect pour le vrai Godard, là où j'avais tendance à le tordre un peu plus pour améliorer mon Jean-Luc de fiction. Au final, c'est un croisement entre le vrai Godard, la vision qu'en a eue Anne Wiazemsky, la mienne, et l'incarnation de Louis. »

Le point de vue d'Anne Wiazemsky est respecté, grâce eu jeu feutré de Stacy Martin qui fait passer un désarroi croissant par des petits gestes et son regard qui s'assombrit face à l'attitude de son mari. Comme sous l'ombre d'un maître, elle étouffe qui elle est, avant de renaître.

« Dans la première partie du film, elle est surtout celle qui écoute et qui regarde. Il y a dans son visage une beauté tragique, un peu distante, qui permet au spectateur de se raconter plein d'histoires. Grâce à ces scènes d'observation, je savais que le personnage existerait, même sans trop de dialogues. Le film raconte l'histoire de son émancipation et de l'érosion de l'amour qu'elle porte à son mari. Nous avons mis en place une évolution avec Stacy sur la perte progressive du sourire. Elle sourit beaucoup au début, puis de moins en moins, pour finir par ne plus sourire, jusqu'à ce qu'elle se libère de lui. »

Son positionnement comme témoin presque passif contraste avec le tempérament plus réactif de l'amie du couple, interprétée par Bérénice Béjo qui a failli refuser le rôle. « La question s'est réellement posée parce que, évidemment, je ne pouvais pas faire le rôle de Anne parce que je suis trop vieille ! Je répétais une pièce de théâtre en même temps et il a presque fallu que je choisisse entre les deux. Et puis dans mon for intérieur, je me disais «ce film va être tellement génial», Michel revenant à la comédie, je voyais le travail qu'il faisait avec Louis, je voyais que tous les gens qui lisaient le scénario l'aimaient... Michel a insisté et m'a fait prendre la mesure de l'importance du personnage. Elle est comme un pivot pour Anne et du coup j'avais quelque chose de précis à faire dans chaque scène. Elle tient tête à Godard, lui dit ce que tout le monde a envie de lui dire : qu'il est un pauvre con. C'est le personnage féminin qui ne se laisse pas faire. »

Après l'immense déception que fut «The Search», Michel Hazanavicius séduit à nouveau avec cette comédie biographique mordante qui s'adresse avec complicité au spectateur et raconte, avec une réelle fraîcheur, le parcours d'un cinéaste iconoclaste, gentiment moqué.

Pascal Le Duff

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