Un beau soleil intérieur
Claire Denis entraîne Juliette Binoche dans la ronde éternelle de la quête du grand amour.
Isabelle, artiste peintre, recherche le grand amour après son divorce avec le père de sa fille. Loin de trouver l'homme parfait, elle multiplie les relations toxiques, avec un banquier goujat, un acteur incertain de son pouvoir de séduction, des bobos parisiens, pas un ne rattrapant l'autre. Le portrait de ces hommes pourrait être à charge mais l'écriture est heureusement plus subtile. Grande fut la surprise de découvrir au Festival de Cannes cette comédie presque burlesque, une première pour la réalisatrice Claire Denis qui nous avait habitué jusque-là à des drames sombres et parfois abstraits. Plus étonnant encore était de voir la signature de Christine Angot apposée sur ces dialogues d'une drôlerie absolue. Le registre de ce qui ressemble à un film à sketchs est radicalement différent de leurs œuvres habituelles. « Le producteur Olivier Delbosc m’a fait une proposition qui est tombée à pic : participer à une adaptation par plusieurs réalisateurs des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. J’en ai parlé à Christine Angot que j'avais rencontrée à Avignon. Mais nous voulions faire notre scénario. Nos fragments amoureux. Cela nous a permis de nous réapproprier complètement le thème. Il n’y a aucun des fragments du texte de Barthes utilisé dans nos dialogues. Nous avons simplement gardé cette structure libre. » Le travail sur les mots d'une grande force littéraire dévoile leur plaisir de jouer avec les richesses de la langue française. Entre phrases toutes faites et propos finement tournés dont le but au fond est de laisser entendre à l'autre ce qu'il veut entendre, ils amusent par leur pertinence universelle et ce qu'il révèle sur ceux qui les prononcent avec une certaine vacuité. Le rire toujours aussi éclatant de Juliette Binoche n'a jamais été aussi juste car accompagnant un texte rafraîchissant à l'oreille qui reflète d'abord le rapport de Claire Denis et Christine Angot à leurs « agonies amoureuses ». « Avec Christine, on ne se connaissait pas tellement. On s’est approché et on s’est accroché à nos vies. On a essayé de regarder en face et avec sincérité nos échecs amoureux et on en a ri. Si cela nous faisait rire, cela pouvait en faire rire d’autres aussi. Dans l’écriture à deux, il y a une distance naturelle et saine qui s’installe avec le texte en train de s’écrire : cela développe une ironie, une légèreté. Cette femme, au moment où elle apparaît dans le scénario, c’est d’abord nous, Christine et moi. C’est ensuite que Juliette s’est matérialisée dans notre esprit. Elle s’est imposée comme l’intermédiaire idéale dans le rôle d’Isabelle. Il fallait un corps féminin crémeux, voluptueux, désirable. Une femme belle de visage et de chair, chez laquelle il n’y a pas de défaite annoncée, pour laquelle, dans les combats amoureux, la victoire est possible, sans laisser penser pour autant que c’est gagné d’avance. » Elle est en effet sensuelle mais fragile aussi, romantique mais sans tabous. Elle incarne sans fard cette femme au caractère bien trempé qui rebondit malgré les échecs, ne capitule pas et fait partager l'universalité de l'échec amoureux dont on peut en rire puisque c'est si grave. La mélancolie n'écrase pas l'espoir que ça ira mieux demain, notamment grâce à cette magistrale (longue) scène finale, un échange inattendu avec Gérard Depardieu en étonnant confident. « Gérard Depardieu arrive comme le bouquet final sur un parcours amoureux. Nous avons tourné la scène du face à face avec Juliette en un jour et cela a donné lieu à la journée de tournage la plus intense que j’aie jamais connu : 16 minutes de film en un seul jour, cela ne m’était jamais arrivé. Nous avons fait deux prises avec Juliette et trois avec Gérard, c’est tout. Il y avait là quelque chose d’un exploit que je n’avais vraiment pas réalisé sur le coup mais que Gérard m’a fait remarquer ensuite. Cette scène est devenue ce bloc que je ne peux absolument pas couper. Si on avait passé huit jours sur cette scène, la splendeur de Gérard aurait été hachée menu. C’est à lui que je dois le titre. Pendant longtemps, avec Christine Angot, nous n’en avions pas. C’est en tournant cette scène que ça s’est imposé, lorsqu’il plante ses doux yeux brillants dans ceux de Juliette et lui dit : « Open... Restez open... Repérez le grand chemin de votre vie et vous retrouverez un beau soleil intérieur». Je trouve qu’il prononce cette phrase d’une façon surnaturelle. » Un film surprenant et hilarant (insistons bien là-dessus) qui invite à « rester ouvert » donc et à prendre tout cela à la légère, sans prétendre que c'est facile, la quête d'amour restant un combat jamais gagné d'avance.Pascal Le Duff.
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