Victoria’s secret
Comment un modeste employé de bureau indien a mis en émoi toute la cour royale d’Angleterre.
En 1887, Abdul, modeste employé âgé de 24 ans, quitte son pays pour participer au cinquantième anniversaire de l'accession au trône de la reine Victoria. Toujours en deuil depuis la mort de son époux un quart de siècle plus tôt, elle remarque le jeune homme à un dîner et insiste pour qu'il reste auprès d'elle. Durant les quatorze dernières années de sa vie, il devient son secrétaire particulier. Leur complicité met le palais en émoi. Dix ans après son portrait d'Elizabeth II en crise après la mort de Lady Di, Stephen Frears évoque l'amitié entre l'impératrice des Indes et son jeune protégé sous le regard suspicieux de la cour. La productrice Beeban Kidron estime hautement symbolique que cette histoire soit restée méconnue : « Le fait qu’une relation de la sorte, entre la reine et un valet, de surcroît un valet musulman, soit restée secrète si longtemps en dit beaucoup sur le Royaume-Uni ».
Le réalisateur se fait plus direct : « L’entourage de la reine voyait d’un très mauvais œil son amitié avec le représentant d’un peuple décidé à se débarrasser de l’occupation britannique. C’est ainsi qu’ils se sont mis à comploter contre Abdul. Le tout déclenché par le racisme, l’intolérance et la bigoterie, évidemment, mais surtout motivé par les intérêts politiques et économiques en jeu sur le territoire indien. Abdul devenait un symbole de ce pays qui représentait une menace pour la couronne et devait être soumis à l’autorité britannique, c’est à dire ceux là même qui constituaient l’entourage de la reine ».
Devenue célèbre à la fin des années 90 grâce à son rôle de patronne de James Bond dans «Goldeneye», Judi Dench s'est imposée auprès de ses pairs grâce à «La Dame de Windsor». Grâce à cette première incarnation de la reine Victoria (à la période où elle tomba sous le charme de son palefrenier), elle obtint la première de ses sept nominations aux Oscars. Stephen Frears lui offre vingt ans plus tard l'opportunité de la jouer à un stade avancé de sa vie, lorsqu'elle s'enticha d'un indien lettré et curieux qui a réussi à la toucher comme nul ne le faisait plus.
« Non seulement c’est une comédienne hors pair, mais en plus elle ressemble à Victoria ! Le seul souci était qu’elle l’avait déjà interprétée dans le film de John Madden en 1997 et j’avais peur que ça ne l’intéresse plus. Elle a en commun avec Victoria d'être capable de ruer dans les brancards quitte à tout faire valdinguer autour d’elle ! ».
Heureusement pour lui, elle accepta sa proposition. Il suffit à la comédienne octogénaire de quelques rictus et regards désobligeants pour incarner le tempérament impétueux de celle qui porta le plus longtemps la couronne du Royaume-Uni jusqu'à Elizabeth II qui a battu son record en 2015. La perspective de reprendre ce rôle à un autre stade de sa vie représentait pour elle un défi enthousiasmant et non d'une redite :
« Cet aspect et ce passage de sa vie étaient totalement inédits. C’est totalement différent d’un rôle du répertoire que vous reprenez des années après, en espérant dans l’intervalle avoir compris certains raffinements qui ont pu vous échapper et surtout avoir acquis les outils nécessaires pour donner une meilleure interprétation. Non, ici il s’agit d’un nouvel aspect d’une personne réelle qui a mûri et évolué. »
Cerise sur le gâteau, elle s'est vite réjouie de retrouver un pays auquel elle est attachée et le cinéaste qui l'a déjà dirigée dans « Madame Henderson présente » et « Philomena » avec deux nominations aux Oscars à la clef :
« Depuis que j’y ai tourné les deux Indian Palace, je ressens un lien spirituel très fort avec ce pays. C’est devenu ma deuxième patrie, j’ai toujours hâte d’y retourner. Et je connais Stephen par coeur ! Il est sensible, incroyablement doué et délicat. Quand après une scène il vous demande si cela vous suffit ou si vous préféreriez recommencer, cela signifie que c’est lui qui veut recommencer! Il est délicieux. En plus nous partageons le même sens de l’humour, et c’est une chose inestimable, surtout sur un tournage ».
Stephen Frears signe une critique savoureuse des intrigues de cour et des relations de subornation, adoucie par une forte dose de miel mais heureusement relevée par une petite dose de fiel qui charge ces courtisans craignant pour leurs privilèges. Malgré le potentiel caustique, le cinéaste (qu'on a connu plus mordant) s'efface un peu trop, au risque de se limiter à la représentation d'une bluette platonique.
Pascal Le Duff
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