L’Atelier
[caption id="attachment_228097" align="aligncenter" width="640"] « L'Atelier » de Laurent Cantet[/caption]
L’art de l’écriture comme outil d’intégration d’une jeunesse désenchantée.
La Ciotat, au cœur de l'été. Olivia, écrivaine reconnue, dirige un atelier d’écriture avec des jeunes en insertion. Le temps de quelques semaines, ils vont travailler de concert à l'écriture d'un roman noir. Olivia s'inquiète de l'attitude d'Antoine qui crée un malaise certain chez ses camarades par ses propositions littéraires et ses piques acérées. Matthieu Lucci fait des débuts impressionnants en marginal perdu dans une société dont il se sent exclu. Il lui donne une humanité guère aisée à dénicher au-delà de ses provocations violentes et racistes. « Matthieu est incroyable. Il m’a dit un jour à quel point il détestait cet Antoine tout en l’aimant, et combien ça lui faisait mal de l’aimer. Il était disponible à ce que je lui proposais de plus difficile, à commencer par ses agressions racistes. Matthieu est capable de tenir tête à cinq ou six personnes avec une mauvaise foi qui peut passer pour de la conviction, au point que chaque fois, il éprouvait le besoin de s’excuser et de dire à ceux qui ne le connaissaient pas : « non mais là, je joue ! ». Matthieu est plus motivé par l'ennui que par la haine de l'autre. Replié mais intelligent, il pousse cette artiste motivée par une envie de partager son expérience à se remettre en question. Marina Foïs mêle assurance et fragilité dans la peau de cette femme moins solide qu'elle ne le croyait. Plus elle essaye d'amadouer le jeune homme, plus il se referme. Leur opposition verbale, en duo ou au sein du groupe est à la limite de l'improvisation, ce qui fut un moteur pour engager l'ex membre de la troupe des Robins des Bois, fortement impliquée auprès de ses partenaires non professionnels : « J’avais imaginé faire appel à une actrice étrangère, comme l’était la romancière de l’atelier qui avait servi d’inspiration. J’ai dû y renoncer car il fallait que le personnage de la romancière maîtrise assez la langue française pour faire face à la truculence des jeunes. Je savais que Marina Foïs avait la verve requise pour s’imposer dans le groupe et qu’elle pouvait le faire avec une certaine légèreté, ce qui me semblait indispensable. Pendant le tournage, elle était prise dans le jeu. Elle aimait questionner les jeunes sur leur expérience et leur façon de penser telle ou telle chose. Ils avaient à son égard un double sentiment : la proximité que la collaboration crée inévitablement sur un tournage, mais aussi une certaine distance puisqu’ils la connaissaient comme actrice et qu’elle représente un cinéma qu’ils aiment. Ce statut de comédienne connue est devenu un élément important du dispositif de mise en scène puisqu’il résonnait sur le personnage d’Olivia, connue elle aussi, qui exerce autant d’attirance que de distance sur les jeunes gens qui l’entourent ». Loin des clichés sur la jeunesse, ce nouveau film de Laurent Cantet dénonce l'abandon d'une certaine frange de la population. Le cadre local est important, la fermeture des chantiers navals de la Ciotat ayant eu de graves conséquences sur la génération qui les a précédés avant de les atteindre eux-mêmes par ricochet. « Cette histoire ouvrière est maintenant de la préhistoire pour les jeunes d’aujourd’hui. Ils en ont bien sûr entendu parler. Ils vivent à proximité de ce qui reste du chantier, reconverti dans la réparation de yachts. Mais depuis que la ville a entrepris de devenir une station balnéaire, elle a tourné le dos au chantier. C’est tout au plus un décor grandiose, qu’on ne regarde plus. Ce dont le film témoigne, c’est de cette mutation radicale d’une société qui, sans doute sous l’effet des crises économiques et politiques, ne se reconnaît plus dans le monde tel qu’il était et tel que les « vieux » voudraient continuer à le représenter. Les jeunes de l’atelier refusent d’être assignés à une histoire qui ne peut plus être la leur. Ils sont maintenant confrontés à des problèmes tout autres. Trouver leur place dans un monde qui ne les prend pas en compte, avoir l’impression de n’avoir aucune prise sur le déroulement des choses et sur leur propre vie. Et faire face aussi à une société violente, déchirée par des enjeux sociaux et politiques inquiétants : précarité, terrorisme, montée de l’extrême droite…». Ce qui commençait comme une version plein air de la Palme d'or du cinéaste («Entre les murs») bifurque vers un jeu de chat et de la souris trouble et fascinant entre l'enseignante et son «élève préféré», leur relation prenant vite le pas sur le reste du groupe. Non exempt de défauts, ce drame complexe s'approche de très près du film noir, sans complètement bifurquer vers le cinéma de genre. Pascal Le Duff
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