The Square
Un Suédois palmé nous met au défi de conserver notre humanité alors que les circonstances nous poussent à mal agir.
Christian, conservateur d'un grand musée d'art contemporain à Stockholm, se fait voler son téléphone portable. Dans le même temps, sa nouvelle exposition intitulée The Square va bientôt être dévoilée. Elle consiste en un carré dans lequel les visiteurs sont invités à réfléchir aux nobles concepts de l'altruisme et de la confiance en l'autre. L'installation est un projet imaginé par le réalisateur lui-même, Ruben Östlund, heureux lauréat de la première Palme d'or suédoise depuis «Mademoiselle Julie» d'Alf Sjöberg en 1951, le trophée n'ayant étrangement jamais été remis à Ingmar Bergman, le grand maître du 7ème Art de son pays. « Le titre du film tient son nom de ce projet artistique que nous avons exposé au Vandalorum Museum dans le sud de la Suède. Cette exposition qui illustre l’idéal de consensus censé gouverner la société dans son ensemble, pour le bien de tous, est devenue une installation permanente sur la place centrale de la ville de Värnamo. Si l’on se trouve à l’emplacement du Carré, il est de son devoir d’agir – et de réagir – si quiconque a besoin d’aide. L’exposition joue sur l’idée que l’harmonie sociale dépend d’un simple choix fait par tout un chacun au quotidien : « j’ai confiance en la société » ou « je me méfie de la société ». Les visiteurs du musée avaient le choix entre deux portes : si l’on passait à gauche, c’est que l’on avait confiance en la société, et si l’on choisissait celle de droite, non. La plupart des gens choisissaient d’avoir « confiance en la société », mais étaient ensuite réticents lorsqu’à l’étape suivante, il leur était demandé de poser leur portable et leur portefeuille sur le sol du musée... Cette contradiction illustre bien à quel point il est difficile d’agir selon ses principes. » Sur ce principe de contradiction entre les valeurs morales et la façon dont chacun agit lorsque qu'il est confronté à un acte qui pousse à les fouler aux pieds, le personnage de Christian est particulièrement révélateur. Sympathique, apprécié de ses pairs, il est pourtant loin d'être parfait. Il se pense honnête homme mais lorsqu'il suspecte que les responsables du vol se trouvent dans un immeuble bien précis, il décide, pour se venger, plus que pour récupérer son bien, de déposer des courriers anonymes accusateurs dans les boîtes aux lettres de tous les locataires. La réaction d'un jeune garçon va le pousser à reconsidérer ce geste dont il ne saisit pas la violence avant d'être confronté à cet enfant déterminé. Les valeurs humanistes de ce quadragénaire à qui semble tout sourir sont malmenées par la réalité de son «agression» et comment il y fait face, abandonnant au passage sa force de caractère et entraînant d'autres dans sa dérive. L'action du dépôt des lettres est filmée avec un humour réjouissant mais révèle une part d'ombre, celle que nous avons potentiellement tous en nous. Le charismatique Claes Bang apporte malice et humanité à ce «bourgeois bohème» qui réagit de façon disproportionnée à un acte auquel tout le monde peut aisément s'identifier. « Christian a de nombreuses facettes : il tient des propos idéalistes mais agit en cynique, il est à la fois puissant et faible, etc. Tout comme moi, il est divorcé, père de deux enfants, travaille dans le secteur culturel et est très attaché aux questions existentielles et sociales soulevées par « Le Carré ». Il est convaincu que celui-ci est une idée révolutionnaire et compte sur l’art pour faire réfléchir les gens. Mais en même temps, c’est sur le plan social un véritable caméléon, qui sait aussi jouer son rôle éminent dans l’institution et cerner les attentes des mécènes, visiteurs, artistes, etc. Christian se pose des questions auxquelles nous sommes tous confrontés : la prise de responsabilités, la confiance en l’autre, la fiabilité, ainsi que la conduite morale sur le plan individuel. Et lorsqu’il se trouve face à un dilemme, ses actes sont en contradiction avec les valeurs morales qu’il défend. Christian incarne un véritable paradoxe, comme la plupart d’entre nous. » Durant la quasi-totalité de son déroulement, la profondeur des questionnements est mise en scène avec un sens de la surprise constante, un art rigoureux de la suggestion et une dérision parfois hilarante. « Certains se moqueront peut-être des actes maladroits et gênants – tout en étant drôles – de Christian et riront des gags du films, mais se retrouveront sans doute dans l’idéal de justice qui sous-tend sa trajectoire. » La dernière demi-heure, à partir d'un happening sorti de «La Planète des Singes» est hélas plus démonstrative et devient épuisante. Le cinéaste explique alors trop ses idées, faisant moins confiance à ses spectateurs après une première heure et demie à la fois plus rigoureuse dans l'abstraction de son propos et plus légère, grâce à un sens de l'ironie communicatif.Pascal Le Duff
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