Black Friday : un flop en région…
La prochaine édition du Black Friday aura lieu le vendredi 29 novembre. Une opération commerciale, qui n’enchante guère les commerçants de proximité.
A grand coup de bandeaux publicitaires majoritairement sur internet, le Black Friday est présenté comme la journée à ne pas manquer pour faire de bonnes affaires. Pourtant, en Haute-Vienne, cette opération commerciale américaine, arrivée en France en 2013-2014, ne fait pas que des émules. Loin de là.
« Le Black Friday n’existe pas réellement à notre niveau. Inventé par les grandes enseignes mondiales pour faire des sur-soldes, il n’est pas du tout adapté à nos commerçants membres. Il permet juste d’enrichir les plus riches au détriment bien souvent des services et commerces de proximité, qui souffrent déjà dans les centres-villes des communes de taille moyenne. Sans parler de la désertification commerciale des campagnes, analyse Jean-François Pailloux, le co-président de Pignon sur rue 87, qui comptabilise 90 adhérents.
Guillaume Blain, le co-président de « Limoges, ma ville », surenchérit : « L’association compte une centaine de membres et personne ne m’en a parlé. Cette opération qui n’est que du marketing n’est pas reprise à l’unisson : les commerçants indépendants qui font le Black Friday en profitent juste pour ‘‘surfer’’ sur la tendance. Les promotions concernent plutôt le e-commerce et les grandes enseignes nationales, qui sont ultra-présentes sur la toile. D’ailleurs, certaines n’hésitent pas à refaire leur stock juste avant le Black Friday ».
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FRANCO-BELLACHON
Dans le nord du département, Nicolas Chambinaud, le président de l’association des commerçants et des artisans du Haut Limousin en Marche, témoigne : « Pour la première fois, nous avons soumis l’idée à notre quarantaine d’adhérents de participer au Black Friday. Nous les avons encore relancés dernièrement par mail. Seuls cinq, dans des secteurs économiques divers (hébergement, caviste, courtier en prêts, menuisier, centre équestre et antiquaire), souhaitent y prendre part mais sous une forme détournée dans un esprit… franco-bellachon ! En fait, ils vont profiter de la notoriété de l’événement pour passer des stocks et pour se faire connaître, sans forcément proposer des super réductions uniquement le vendredi 29 novembre. Pour un territoire rural comme le nôtre, cette opération peut être une opportunité supplémentaire de se fédérer ».
ECOLO
Autre perversion de ce type de manoeuvre : le consumérisme excessif, avec des surproductions de biens manufacturés voraces en ressources, souvent non-renouvelables et polluantes, que dénonce Jean-François Pailloux : « On se bat au quotidien pour la planète et contre un certain système économique qui tend à la surconsommation. On ne consomme plus par nécessité mais par envie ou par jalousie, qui sont attisées par les pubs incessantes s’affichant sur nos écrans ».
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PIC DE VENTES EN LIGNE
L'édition 2019 du Black Friday sera sans doute aussi suivie que celle de 2018. Selon le cabinet d'analyses HiPay, le vendredi 23 novembre 2018 a vu une augmentation de 71% des dépenses et une augmentation de 59% des transactions par rapport à un vendredi « normal » de la même année. 40% des transactions ont été effectuées entre 17heures et 22heures.
Le panier moyen des acheteurs s’est élevé à 94 euros, soit un gain de 6% par rapport au Black Friday 2017 et 29% par rapport à un vendredi « normal ». 78% des achats ont été payés par carte bancaire.
Enfin, le Black Friday 2018 a généré 50 millions de transactions bancaires en France, contre 42,8 millions de paiements par carte bancaire pour l'édition 2017, selon le GIE des cartes bancaires.
De leur côté, les Américains ont battu un nouveau record en 2018 avec une dépense de 6,22 milliards de dollars sur Internet, soit un gain de 23,6% par rapport à 2017.
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QUID DU CONSOMMATEUR ?
« Le consommateur est un peu perdu avec toutes ces opérations commerciales : Black Friday, Black Week, French Days et… soldes, braderies, ristournes, promotions spéciales, ventes privées, réductions aux membres du club partenaire, aux détenteurs de la carte du magasin… Je me suis amusé à compter : dans une année, si on colle à tout ça, on est plus souvent en période promotionnelle qu’en vente au tarif normal. Finalement, trop de promos tuent les promos, détaille Guillaume Blain. Et si on est en offre promotionnelle constante, à quel moment paye-t-on le juste prix ? Donc finalement, ça décrédibilise le prix réel des produits ».
Nicolas Chambinaud admet : « On ne connaît plus la valeur des choses. On n’achète pas forcément ce dont on a besoin, mais on achète ‘‘un prix’’ ».
Et Jean-François Pailloux d’aller plus loin : « Les prix proposés lors de cette journée sont impossibles à mettre en place en France puisqu’on ne peut pas vendre en-dessous de son prix de revient. Les deux périodes de soldes sont à ce titre très réglementées. En fait, en France, le Black Friday est dans l’illégalité ».
MÉFIANCE
D’ailleurs, à l’instar des soldes, l’UFC-Que choisir a dénoncé des abus : « Le Black Friday n’a pas officiellement commencé que déjà les fausses promotions pleuvent. Il nous a suffi de passer quelques minutes en début de semaine sur les principaux sites marchands pour dénicher une multitude de fausses bonnes affaires. Pour revendiquer 10, 20, 30 ou même 50% de réduction, des enseignes communiquent sur un prix de référence barré, présenté comme celui avant promotion, qui en fait ne correspond dans bien des cas à rien. Il peut même n’avoir jamais été pratiqué par le commerçant ». Et l’UFC-Que choisir de citer un produit électroménager vendu 349€, contre 500 environ, selon le prix barré. Sauf que l’association n’a retrouvé aucune mention de ce prix dans l’historique des tarifs appliqués par l’enseigne. Pire, ce même produit présenté comme en promotion à 349€ était préalablement affiché à 329€. Le consommateur paie donc en vérité plus cher et ne profite d’aucune promotion.
CONCURRENCE DÉLOYALE
Les trois représentants haut-viennois s’accordent également sur un point : la saisonnalité des promotions, qui était marquée par les soldes d’été et d’hiver, n’existe plus. Les business plans sont bien difficiles à réaliser, avec des prévisions… imprévisibles, les chiffres étant devenus complètement aléatoires. « Auparavant, on savait qu’il y avait des mois creux et des mois forts. Mais aujourd’hui, comment gérer une trésorerie aussi aléatoire ? On vit au mois le mois en essayant de s’adapter au mieux aux évolutions du marché et des habitudes des consommateurs », conclut le co-président de « Limoges, ma ville ».
Si d’ores et déjà, certains consommateurs affirment profiter du Black Friday pour faire leurs courses de Noël, il apparaît bien évident que les commerçants de proximité à Limoges comme à Bellac, ayant reçu leurs produits et collections pour ces fêtes, ne peuvent pas les brader lors de cette journée, qui est selon eux, une forme de concurrence déloyale.
Anne-Marie Muia
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