L'organisation du pater familias n'est plus un modèle en 2020
Psychologue clinicienne à Limoges, spécialisée périnatalité et enfant, Ninon Le Bars apporte un éclairage professionnel sur la relation parents-enfant, sur la famille…
Quelles peuvent être les répercussions d'une relation hyper-fusionnelle sur l'enfant devenu adulte ?
Cela dépend de ce que l'on entend par « hyper-fusionnelle ». Nous ne pouvons que nous réjouir de cette place prise par les « nouveaux papas ». Les papas peuvent aussi bien « materner », ou bien plutôt « paterner » leur jeune enfant, répondre à ses besoins affectifs et s'investir dans sa vie sociale, scolaire... que la mère. Cela amène une certaine richesse en termes d'interactions, de modèle identificatoire pour l'enfant. C'est peut-être lorsque la relation parent-enfant devient trop « excluante », « enfermante » que nous pouvons nous inquiéter. L'enfant n'est pas là pour combler un manque affectif, une faille narcissique chez son parent. Il est important de différencier les besoins et les désirs de chacun, de considérer l'enfant comme un être à part, et non pas comme un prolongement de soi-même.
La « littérature scientifique » traite davantage des répercussions d'une relation fusionnelle au sein de la dyade mère-enfant, très peu concernant les troubles relationnels de la dyade père-enfant. Cela peut avoir des conséquences ou non sur chacun, cela reste très individuel et les manifestations peuvent être très différentes.
Nous pouvons retrouver chez ces enfants devenus adultes, une méconnaissance de leur propre désir, de leurs propres besoins, un sentiment de n'exister qu'au travers et par l'autre, une tendance à mettre en place ce même type de relation fusionnelle et exclusive avec autrui, des troubles anxieux, des difficultés dans la construction identitaire...
« À deux comme un couple »... mais quid de la maman, de l'épouse dans la construction familiale ?
Cela questionne les places de chacun au sein de la famille. Cela convient-il à tous les partenaires, à la mère ? Qui fait « couple » ? À quelle place est mis l'enfant ? Quelle mission lui a-t-on donnée inconsciemment ?
Certains pères s'épanouissent davantage que leur conjointe dans leur rôle parental. Ce n'est pas un problème si les besoins et les places de chacun sont respectés.
Ces « nouveaux papas » trouvent-ils leur légitimité dans une société qui promeut l'égalité des sexes ?
Je crois qu'il y a une attente du côté des mères et une envie du côté des pères de s'investir davantage dans les soins, la prise en charge de leur enfant. On fait un enfant à deux, il s'agit également de l'élever à deux !
Malgré tout, il semble que la charge mentale liée à la famille pèse toujours beaucoup sur les femmes à l'heure actuelle. Et le maigre congé paternité mis en place en France ne va aucunement dans le sens d'une égalité des sexes. Les papas n'ont que onze jours pour découvrir leur bébé, commencer à créer un lien, soutenir leur compagne...
Concernant la garde alternée, les associations de pères réclament davantage d'égalité et certains pères ne veulent pas se contenter d'un week-end sur deux et de la moitié des vacances scolaires à consacrer à leur enfant.
Et enfin, il y a la question de l'accueil des pères dans les lieux de gardes (crèches par exemple) et de consultation pour enfant. Quelle place leur est-il fait ? Est-elle suffisante ?
On peut également évoquer la féminisation des métiers de la petite enfance. Prendre soin d'un enfant semble encore être perçu comme une compétence essentiellement féminine.
Les codes de la famille du XXIe siècle ont-ils changé avec une nouvelle paternité à l'encontre du pater familias* ?
Les codes ont effectivement changé. La « cellule familiale » a évolué. Couples homoparentaux, familles recomposées, familles monoparentales... Aujourd'hui, la famille ne se réduit pas à un père, une mère et un enfant.
L'organisation traditionnelle type pater familias n'est plus un modèle en 2020. Il y a une aspiration des pères à participer aux soins quotidiens des enfants et plus seulement à avoir un rôle symbolique, à ne représenter que l'autorité et être le pourvoyeur de ressources du foyer.
La fonction paternelle ne rime plus forcément avec celui qui « sépare » la mère et l'enfant, celui qui détient l'autorité, celui qui décide. Cela est bien plus complexe. Le père est celui qui « réunit », protège la mère et le bébé dans les premiers mois de vie, celui qui facilite la création du lien d'attachement. C'est également celui qui aide la dyade à s'ouvrir sur le monde extérieur, qui est facteur de socialisation. Mais c'est aussi celui qui pratique le portage, le cododo, qui nourrit, qui console, qui materne/paterne à sa façon !
*N.D.L.R. : Le pater familias (« père de la famille » en latin) était l'homme de plus haut rang dans une maisonnée romaine, qui détenait la patria potestas (puissance paternelle) sur sa femme, ses enfants et ses esclaves. Cette potestas était « de vie ou de mort », et était viagère : elle ne s'éteignait qu'à la mort. Il s'agit également de l'homme le plus vieux de la famille. Le respect est donc un élément primordial.
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