L'écriture est une forme de musique, où chaque note compte
Depuis le 18 août, le dernier ouvrage de Franck Bouysse L'Homme peuplé est en librairie. Entretien avec l'auteur de cette histoire de fantômes qui nourrissent la création et l'écriture.
Les fantômes sont très présents dans ce dernier ouvrage ?
En effet, il y a un côté plus onirique que dans mes précédents livres, avec le poids de ce qui imprègne les lieux, qui flotte dans l'air.
Pourquoi ce choix ?
En fait, ça ne se pose pas en ces termes. Quand je commence à écrire un livre, je pars d'une image inaugurale, en l'occurrence cette fenêtre avec cette mésange. Je voyais cette maison en face, qui existe, contrairement à Caleb ou Harry...
Caleb, justement, est un homme très rustre. Pensez-vous que dans nos campagnes, des Caleb existent encore ?
Oui, évidemment ! J'en connais... Rien n'est vraiment créé ou inspiré. Tout est dans les souvenirs avec des personnages qui surgissent de l'enfance, un mélange de tout ce que j'ai vu, connu, entendu. Caleb est un peu issu de cette patte-là.
On peut lire que Caleb serait un sourcier ou un sorcier, avec un clin d'œil à cette voyelle qui différencie les deux mots. Selon vous, peut-on encore trouver ce type de croyances ?
Bien sûr. Voyez le succès des horoscopes et des voyants ! Dans les campagnes, c'est encore plus mystérieux avec le silence, l'animal comme la chouette, le loup... Les croyances y sont plus fortes et les ruraux sont de grands mystiques.
Le silence ou plutôt le secret comme on peut le retrouver dans l'histoire ?
Le silence et le non-dit entraînent le secret. Dans le milieu dans lequel se déroule l'histoire, ce n'est pas que les gens ne parlent pas, mais ils ne disent pas. Ils ne disent pas les choses, ce qui implique plusieurs interprétations différentes, le mensonge, la trahison, les drames qui réapparaissent des années après, ou des générations plus tard.
À l'instar de Harry après L'Aube noire, avez-vous connu un passage à vide après votre premier roman ou la peur de la page blanche ?
Non. Dès que je finis un livre, un autre surgit et je vais au bout. Ce n'est pas tant la page blanche qui m'a interrogé, que la page noire. Comme dit Harry : ce n'est pas la blancheur de la page et ce qu'on va mettre dessus, mais plutôt qu'est-ce qu'on va faire de tout ce qui a été écrit ? Comment va-t-on gratter cette page noire pour faire surgir sa propre musique ? Ce qu'il essaie de faire. On peut y voir ainsi une métaphore évidente avec la blancheur de la neige (N.D.L.R. : l'histoire se déroule en hiver avec des chutes de neige importantes de jour comme de nuit).
D'ailleurs, il déchire un second ouvrage après l'avoir présenté à son éditeur. Avez-vous déjà déchiré un livre ou des pages entières ?
Après un premier jet, il y a des pages entières qui ne tiennent pas la route. Il faut reprendre depuis le début, supprimer ce qui n'est pas bon. Sur les dialogues, on se laisse souvent emporter, puis après relecture, il faut resserrer, et encore resserrer... Je fais minimum six versions de chaque livre : j'ai même réécrit neuf fois Grossir le ciel. C'est de la musique, tant que ça achoppe et bloque sur des notes, je reprends. J'ai besoin de la musique de bout en bout. Ça tient autant de l'émotion que du sens : souvent la phrase m'emporte par son émotion et le sens surgit plus tard. Le plus important, ce n'est pas l'histoire, ça devrait être l'écriture, la musique...
Comme une forme de poésie... comme ce mot trouvé par Harry avec cette sublime phrase : « Mes yeux se sont usés à guetter ta promesse »...
C'est dans la Bible. Cette phrase scande le livre du début à la fin.
Enfin, pourquoi ce titre ? Un homme peuplé de quoi ?
Le livre ne peut se construire que quand on est suffisamment « peuplé » d'odeurs, d'images, de personnages... L'écrivain, comme tout artiste, est un homme peuplé.
D'ici quelques jours aura lieu la rentrée littéraire durant laquelle vous allez faire la promotion de ce livre, alors même que vous êtes dans l'écriture d'un nouveau...
C'est assez schizophrénique. On est avec d'autres personnages, on nous pose des questions sur un livre terminé. Comme il y a une filiation très forte d'un ouvrage à l'autre, tous mes personnages se « connaissent », c'est assez facile de revenir. Caleb, Harry, Sofia, Emma, Zachary... sont encore là.
L'Homme peuplé, Franck Bouysse. Éditions Albin Michel. 317 pages. 21,90 €.
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