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Ostensions : Célébration religieuse et fête populaire

07h50 - 06 avril 2023 - par Info Haute-Vienne
Ostensions : Célébration religieuse et fête populaire
A Saint-Junien, la cérémonie officielle de bénédiction et d'arboration des drapeaux a eu lieu le dimanche 19 mars

Le coup d'envoi des 73es ostensions limousines, qui ont lieu tous les sept ans, a été donné il y a quelques jours. Depuis 2013, elles sont inscrites sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'Unesco.

C'est l'un des événements les plus " singuliers " du Limousin : les ostensions sont aussi bien cultuelles que culturelles voire populaires. Tous les sept ans, dans 20 communes, dont 15 en Haute-Vienne, la population croyante comme athée participe à la préparation, à l'organisation et à la célébration de la sortie des reliques des saints…

MAL DES ARDENTS

L'origine de cette fête religieuse remonterait à 994, alors que le Limousin, comme une grande partie de l'Aquitaine, se trouve aux prises avec le mal des ardents, épidémie qui se déclenche à la fin des moissons. Cette intoxication est causée par la consommation de pain de seigle contaminé par un champignon parasite, l'ergot du seigle. Elle provoque une sensation d'atroces brûlures et d'hallucinations (d'où l'appellation " ardent ", du latin ardere, brûler), des crises de convulsions et des spasmes douloureux, des diarrhées, des paresthésies, des nausées et des vomissements. Sans omettre le noircissement, la nécrose puis la chute des mains et des pieds chez les personnes atteintes. Les morts se comptent par centaines. Cette maladie est alors perçue comme un châtiment de Dieu. À Limoges, les malades, venus implorer la protection divine, s'entassent dans les églises. Face à l'étendue du drame, l'évêque Hilduin et son frère Geoffroy, abbé de Saint-Martial, décident d'organiser un grand rassemblement autour des reliques de plusieurs saints limousins.

Le 12 novembre 994, après trois jours de prières et de jeûne, le corps de saint Martial, premier des évêques de Limoges et protecteur de la cité, est levé de son tombeau, placé dans une châsse d'or, et porté en procession depuis la basilique du Sauveur (l'actuelle place de la République) jusqu'au mont Jovis. Cette colline porte ce nom qui signifie Mont de la joie depuis cette époque. Le 4 décembre, alors que le corps de saint Martial est ramené jusqu'à son tombeau, l'épidémie a cessé de sévir. Les chroniques font état de plus de 7 000 guérisons.

Les ostensions sont devenues plus régulières à partir de 1518, date à laquelle il a été proclamé qu'elles auraient lieu tous les sept ans. Après plus de deux siècles d'interruption, elles ont repris en 1806, à la suite de la découverte et la reconnaissance officielle des reliques conservées par des particuliers.

Elles se déroulent sous la bienveillance des confréries. La première est l'héritière de la confrérie dite du " Luminaire devant le Sépulcre ", fondée à la fin du XIIe siècle. Plusieurs autres se sont ajoutées aux processions au fil des siècles : saint Aurélien, les porteurs de la châsse de saint Martial, saint Éloi, saint Israël et saint Théobald, saint Maximin, saint Étienne, saint Côme et saint Damien, enfin sainte Valérie.

Outre Limoges, les communes ostensionnaires sont Aixe-sur-Vienne, Aureil, Chaptelat, Eymoutiers, Javerdat, Le Dorat, Nexon, Pierre-Buffière, Rochechouart, Saint-Junien, Saint-Just-le-Martel, Saint-Léonard-de-Noblat, Saint-Victurnien, Saint-Yrieix-la-Perche.

CULTUEL

Les ostensions débutent toujours à Limoges par la " cérémonie de reconnaissance des chefs ". La châsse de saint Martial est ouverte conjointement par le maire de la ville, l'évêque, le curé de Saint-Michel-des-Lions et le premier bayle de la grande confrérie de saint Martial. Dans un second temps sont sortis de leurs châsses les chefs de saint Loup et de saint Aurélien. Une procession aux flambeaux s'étire ensuite jusqu'à la cathédrale Saint-Étienne.

La tenue des ostensions limougeaudes est encadrée par la montée et la descente du drapeau amarante et blanc en haut de Saint-Michel-des-Lions. Cette année, l'ouverture a coïncidé avec l'obtention du titre de basilique demandé par Mgr Bozo et délivré par le Vatican pour cette église.

L'évêque de Limoges vit ses premières ostensions : " J'ai beaucoup écouté les témoignages de ceux qui participent aux petites histoires dans la grande histoire. J'ai lu et consulté des documents. Je me prépare en essayant de me cultiver, de mener une réflexion autour du culte des reliques, de la question de la sainteté, des saints canonisés et des autres… ". Le 107e successeur de saint Martial rappelle : " Les ostensions ''montrent'' la sainteté, la vie dans l'amitié avec Dieu de manière originale avec des processions durant lesquelles on sort l'église dans la rue, grâce aux reliques et aux ossements des saints avec des reliquaires, qui sont souvent de belles œuvres d'art ", notant toutefois ne pas " avoir d'explication très rationnelle à l'engouement suscité par les ostensions, avec une organisation unitaire et unifiée alors que le Limousin n'est pas une région très christianisée, contrairement au grand Ouest avec une renaissance chrétienne ".

CULTUREL

L'association " Ostensions septennales limousines patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'Unesco " œuvre pour la connaissance, la sauvegarde, la valorisation, le rayonnement et la transmission des ostensions.

Daniel-Odon Hurel, historien et directeur de recherche au CNRS, en est son président : " Ce classement à l'UNESCO permet d'envisager les ostensions comme un événement reconnu, appartenant à une histoire commune qui se poursuit à travers le maintien des traditions au-delà du monde chrétien ". Outre la publication d'un ouvrage collectif Reliquaires-objets d'art au cœur des ostensions, un colloque sur " Le régime juridique des reliques à la période actuelle et dans l'histoire " aura lieu, avec le soutien du CNRS, de PSL et du LabEx HaStec, les 22 et 23 juin à Saint-Junien. Il s'agit de s'intéresser aux textes et procédures juridiques qui encadrent les reliques et les reliquaires, en particulier dans le cadre des ostensions. De plus, une journée de débat autour des ostensions, en partenariat avec le Théâtre du Cloître de Bellac, se déroulera le 30 septembre. Elle portera sur les interactions entre le patrimoine culturel immatériel et la question des droits culturels universels avec la présentation d'un " panégyrique inédit de Simon Mallevaud (vers 1670), consacré aux saints Israël et Théobald " au Dorat.

Désireux de nourrir le pendant culturel des ostensions, Daniel-Odon Hurel émet une explication de ce phénomène sociétal, cultivant le rapport de l'influence de quelque chose de divin dans la gestion de la terre : " Dans une société qui se sécularise au XIXe siècle, on tente de maintenir ce qui fait l'identité de communes, de petits pays, avec la rencontre entre l'église et la population ''ouvrière'' outre le culte dans une forme de reconquête, rappelons-nous des équipes de foot patronales ", en citant deux exemples différents. Saint-Junien s'inscrit dans un contexte historique politique très marqué à gauche, et Le Dorat, " où la présence de l'église notamment au XIXe siècle a profondément structuré psychologiquement la population et où pour les ostensions, tout se joue autour de la collégiale avec la présence cette année le dimanche 4 juin pour la clôture du cardinal Robert Sarah, un prélat qui était l'un des plus proches de Benoît XVI ".

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