Harcèlement scolaire : une prise en charge plus judiciaire
Cette année, la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire a lieu le 9 novembre. L'occasion de revenir avec Me Richard Doudet, le bâtonnier de Limoges, sur les nouvelles mesures à la suite du décret du 16 août dernier, et les dispositifs existants en Haute-Vienne.
Comment se définit, juridiquement, le harcèlement scolaire, qui toucherait près d'un élève sur 10 chaque année, soit environ 700 000 jeunes ?
La définition juridique est très large : aucun élève ne doit subir des faits répétés de violences physiques, psychologiques et/ou verbales ayant pour effet ou pour objet de détériorer ses conditions d'apprentissage. La loi ne spécifie pas s'il s'agit d'insultes, des moqueries... Cela permet au juge d'apprécier au cas par cas ce qui peut être jugé comme du harcèlement.
Le harcèlement numérique, qui utilise notamment les réseaux sociaux, est-il considéré à l'égal du harcèlement « physique » (IRL) ?
Oui et c'est indispensable. Envisager le harcèlement numérique comme toutes formes de harcèlement est un bon moyen de dire aux enseignants, qui sont parfois dépassés : « Vous avez un savoir-faire, puisque vous savez gérer le harcèlement scolaire dans la vraie vie. Donc il n'y a aucune raison pour que vous ne sachiez pas gérer de la même façon quand il s'agit de harcèlement numérique ». Qu'un enfant dans un établissement traite une fille de « sale put... » ou qu'il le fasse via les réseaux sociaux, c'est la même chose !
Le cyberharcèlement est une forme « d'entre-soi » pour les enfants, les ados, excluant les adultes...
Il y a un sentiment d'impunité pour les jeunes ayant l'impression que les adultes sont absents des supports/moyens numériques. Il est absolument nécessaire de remettre de l'adulte, de remettre du droit là où ils croient qu'il n'y en a pas. Les avocats, les juges, les gendarmes doivent se rendre dans les établissements et expliquer les sanctions disciplinaires qui peuvent avoir des conséquences sur Parcoursup, ou pénales ; qu'il est possible d'aller chercher un élève en classe et de le menotter...
Quelles sont les démarches à suivre si on constate un harcèlement scolaire que l'on soit enseignant ou parent ?
Les instructions ministérielles sont très claires : si les chefs d'établissement constatent des faits répétés qu'ils sanctionneraient au sein de l'école, ils doivent faire un signalement au Procureur de la République. Ce dernier soit demandera une enquête soit appréciera les faits et dans ces cas-là il y aura des poursuites.
Les autorités souhaitent un changement de paradigme dans la prise en charge de la part des enseignants, des encadrants avec une professionnalisation et une judiciarisation afin d'éviter qu'une jeune victime qui pourrait aller jusqu'à la tentative de suicide passe à travers les mailles du filet.
Les parents qui ne veulent pas déposer plainte d'autant si l'auteur est, comme la plupart du temps, un mineur (être placé en garde à vue ou en audition à la gendarmerie peut être extrêmement traumatisant), peuvent se rendre à la Maison de protection des familles à la gendarmerie, ou à la Maison de l'avocat.
Avec les permanences et les consultations à la Maison de l'avocat, Limoges pourrait devenir ville-pilote dans la lutte contre le harcèlement scolaire ?
C'est mon souhait. Mais il faut savoir que cette permanence existe depuis 20 ans. La Maison de l'avocat est très bien située place Winston Churchill, où une plateforme de transport en commun dessert tous les quartiers de Limoges. Les jeunes peuvent donc pousser la porte quand ils attendent leur bus. Outre la permanence du mercredi de l'association AVO Droits les jeunes, un avocat assure tous les jours des consultations gratuites dans tous les domaines donc également pour les mineurs. Il peut être saisi par mail (ordre@barreau-limoges.com). Aussi entre l'absence de réaction et le signalement au Procureur de la République, l'avocat peut être un intermédiaire. Et on fait ça depuis deux siècles, technologie nouvelle ou pas. Bien sûr qu'on pourra déposer plainte, mais également prévenir en expliquant qu'il s'agit de chamailleries entre enfants. Le tout pénal n'est pas la bonne réponse non plus. L'avocat peut apporter de la mesure.
Depuis le début 2023, combien de jeunes avez-vous reçus ?
Nous recevons, en moyenne, trois à quatre jeunes par mercredi. Il y a un mois, c'était quinze. Cela représente 120 et 130 jeunes sur une année.
Comment expliquez-vous la recrudescence des cas de harcèlement scolaire ? Est-ce dû à une libération de la parole ? L'actualité dramatique avec le suicide d'adolescents a fait réagir les adultes encadrants qui ont peut-être compris que la réponse n'était plus du tout adaptée. Si nous avons choisi le thème « Les mineurs et le harcèlement numérique » pour notre conférence de la Nuit du droit, réunissant la gendarmerie, les juges des enfants, le tribunal administratif, le barreau... c'est que nous avons bien conscience que nous ne sommes pas prêts à prendre cette « vague ». Nous devons nous préparer.
Vous êtes avocat mais également papa, quels sont, selon vous, les signes qui doivent alerter les parents ?
Le repli sur soi, une grande nervosité, de l'agressivité, des pleurs... Les parents doivent questionner l'enfant, chercher l'information voire faire preuve d'autorité en regardant dans le téléphone. Les mineurs craignent l'intervention des adultes, à la suite de laquelle, pourtant, bien souvent tout s'arrête rapidement.
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