Sara Forestier passe le bac
La comédienne Sara Forestier devient réalisatrice avec un projet pour le moins personnel.
Lila, bègue, ne parvient à communiquer avec les autres qu'en écrivant dans un carnet qu'elle ne quitte jamais. Le hasard la place sur le chemin du rugueux Mo, plus âgé qu'elle, qui participe à des courses clandestines. C'est le coup de foudre. Conscient de son mal, il la pousse à oser parler. Mais lui aussi dissimule une part importante de sa personnalité : il ne sait pas lire…
« Je pense à ce film depuis plus de quinze ans, avant même L’Esquive. J’ai eu une histoire d’amour avec un garçon assez impressionnant, plus vieux que moi, très animal et qui avait un ascendant sur moi au point de me fasciner. Après m’être séparée de lui, j’ai appris, par un de ses amis, qu’en fait il ne savait pas lire. Il me l’avait caché tout au long de la relation. Je ne m’en étais pas aperçue, et cette révélation m’a fait comme un choc. Je me suis remémorée notre histoire et j’ai compris à posteriori beaucoup de réactions qu’il avait eues. J’étais loin d’imaginer que quelqu’un d’aussi charismatique portait un tel complexe et j’étais saisie par l’efficacité virulente et implacable de sa dissimulation. J’étais bouleversée par l’écho de la profondeur dans laquelle devait être ancrée sa honte. J’ai pensé que cela ferait une très belle histoire de cinéma, avec l’aspect très cinématographique d’un personnage qui porte un secret et la puissance d’une émotion universelle sur le rapport à soi-même et le désamour que l’on peut avoir ».
Contrainte de jouer le rôle elle-même car elle n'a pas trouvé d'actrice bègue et qu'Adèle Exarchopoulos, très impliquée dans le projet, a dû renoncer au projet à un mois du tournage, Sara Forestier maîtrise l'embarras de Lili et s'avère même assez touchante. Il est compliqué néanmoins de la voir en élève de Terminale passant son bac. Ce problème de crédibilité est regrettable car il détourne l'attention alors que, dans son interprétation, elle sait exprimer viscéralement les tourments d'une passion amoureuse qui libère son personnage de sa prison mentale, de sa trajectoire sociale et du poids de sa famille fracassée par le deuil.
« Adèle a refusé pendant un an les propositions qu’elle recevait et a fini par me dire qu’il fallait qu’elle tourne, elle venait de gagner une Palme d’or. Je lui ai dit qu'elle était libre et, ne trouvant pas d’autre actrice, j’ai décidé de prendre le rôle. Pour le préparer avec Adèle, je travaillais depuis des mois avec des bègues et j’avais trouvé ma manière à moi de bégayer, ce qui facilitait les choses pour reprendre le rôle un mois avant le tournage. Et j’avais une familiarité avec le personnage car en réalité il y a chez Lila quelque chose qui a trait à ma fragilité la plus intime ».
Redouanne Harjane, humoriste vu dans le Comedy Club de Jamel Debbouze se sort très honorablement de sa première grande performance, notamment dans sa façon de cacher qu'il ne sait pas lire. La scène du rendez-vous au restaurant, marquée par la gêne respective des amoureux, alterne entre le rire et l'émotion provoqués par l'incapacité de ce trentenaire viril à admettre ce qui le heurte. Protecteur et encourageant, mais un brin macho, il est capable d'explosions de violence lorsqu'il est mis au pied du mur. Il n'arrive à dévoiler l'étendue de son mal-être que dans une confrontation avec sa sœur plus compréhensive qu'il ne peut l'entendre.
« Quand j'ai vu Redouanne la première fois, il était hirsute et pesait vingt kilos de plus. Sa psychologie est assez différente de Mo, plus dans la fuite. Il esquive par l’humour, par une sorte de cynisme absurde. Mais dans une scène que je lui demandais de jouer, j’ai vu quelques secondes dans son regard une noirceur vraie et l’espace d’un instant, j’ai entrevu une certaine tendance à l’autodestruction, comme une tentation de se détruire, et j’ai su alors qu’il était celui que je cherchais. Tout mon travail durant le tournage a été de le faire se recentrer face à cette noirceur qu’il porte, de ne pas esquiver ses émotions, d’embrasser dans une vérité tout ce qui le charge et offrir cette véracité. C’était le coeur, ou plutôt le ventre du film, la condition sinequanone. Tout le film tient sur la véracité de cette souffrance, notamment par le fait que le dernier tiers est le moment où le film se révèle vraiment, se livre, prend sa réelle honnêteté ».
Porté par une naïveté adolescente et un symbolisme trop évident (une histoire d'amour entre une personne qui ne sait pas lire et une autre qui ne sait pas parler), le film possède pourtant un réel charme, avec de belles réflexions sur la honte sociale que peut faire naître la difficulté à communiquer, sans trouver complètement sa voix… pardon, sa voie.
Pascal Le Duff.
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