Les douze suspects d’Hercule
Le Crime de l’Orient Express : les douze suspects d’Hercule Poirot dans le plus beau train du monde.
Alors qu'il rêvait de vacances méritées après avoir évité de justesse une guerre de religion devant le Mur des Lamentations, Hercule Poirot doit enquêter sur un meurtre commis à bord de l'Orient-Express. Tous les passagers sont des suspects et une avalanche bloque l'avancée du train. Loin de l'adaptation académique qu'on pouvait craindre, Kenneth Branagh nous rassure, devant et derrière la caméra, avec une incarnation toute personnelle du célèbre détective belge. Le prologue donne déjà une idée claire de la personnalité du nouveau Poirot, fidèle à ce que l'on en connaît mais plus torturé. L'ouverture enjouée souligne son tempérament quasi maniaque, son esprit de déduction inégalé mais aussi l'envie de surprendre de son réalisateur.
« En premier lieu, nous avons changé le début et la fin. Mon but était d'introduire un nouveau Poirot, de pointer du doigt ses obsessions compulsives mais aussi de dévoiler un peu sa mélancolie liée au poids de son don. Lorsqu'il arrive dans le train, le spectateur sait déjà que les passagers ont un problème. Nous nous sommes éloignés du côté procès-verbal d'enquête des précédentes adaptations. À la fin, lorsqu'on sait qui a commis le crime, comment et pourquoi, on arrive à une forme de questionnement moral sur le sens profond du film. Qu'est ce-que la justice ? De la vengeance ? Au début pour Poirot, le monde se divise strictement entre le bien et le mal. Plus on s'approche du dénouement, plus on peut se dire qu'il existe une zone grise entre les deux, y compris pour lui. Pourtant, Poirot est convaincu que si on applique la loi du talion, il ne restera plus personne. La tristesse de Poirot et ce dilemme moral sont les principaux éléments nouveaux de notre vision ».
Le récit s'ancre ainsi plus sur la psychologie de Poirot et de ses proies que sur la résolution d'un assassinat. Ici, il doit faire face au plus grand dilemme de sa carrière. Kenneth Branagh tranche avec les précédentes incarnations de Poirot, notamment celle d'Albert Finney dans la précédente adaptation de ce même livre. Il respecte les intentions d'Agatha Christie, notamment sur son génie à saisir le moindre détail qui lui permettra de tout comprendre à une vitesse éclair, en particulier son art de se trouver au bon endroit au bon moment et de ne pas rater les indices précieux. Chaque parole ou action, avant ou après le drame, lui sera utile lors de la confrontation finale mise en scène ici comme une reproduction de la Cène.
« Partout où je me rends pour parler de mes films, j'essaie de voler un peu de la culture locale. Il y a deux ans, j'étais à Milan pour la promotion de Cendrillon. J'ai profité de trente minutes de pause pour aller voir la Cène. Ça a laissé en moi une impression indélébile. Quand j'ai tourné ce film, j'ai eu le sentiment qu'il fallait que la confrontation des suspects se déroule à l'extérieur du train. Quand je repense au grand film de Sidney Lumet, ce qui reste en premier lieu de l'interprétation d'Albert Finney, c'est qu'on le voit marcher de long en large au milieu du wagon dans cette scène cruciale. Je trouvais ça limité. J'ai eu envie de faire de ces douze suspects les disciples de Jésus. Et de façon subliminale le public se demande qui est Judas, qui est le traître ».
Étrangement, l'un des principaux soucis de Kenneth Branagh fut la création de ce qui pourrait n'être qu'un détail mais a une importance prépondérante pour la justesse de sa performance :
« J'ai beaucoup discuté avec Mathew Prichard, le petit-fils d'Agatha Christie. Il a plus de soixante-dix ans et a grandi avec elle. Il a vu beaucoup d'adaptations et avant de le rencontrer, je me disais qu'il allait me parler avant tout des thèmes abordés, des actes et des personnages. Mais sa première interrogation concernait la moustache. C'était une question vraiment très sérieuse pour lui ! Car c'est son masque, sa protection, son poste d'observation… et je rajouterais que pour moi, c'est l'ennemi absolu de la moindre nourriture ! Trouver la bonne apparence a été un processus long de plusieurs mois car j'essayais de trouver un sens à une phrase précise d'Agatha Christie. Elle écrivait dans un des romans qu'il avait les plus magnifiques moustaches - elle employait le pluriel alors que le mot anglais est au singulier – de toute l'Angleterre. Et pour une fois, je dirais qu'il est vrai que, au moins en ce qui concerne sa moustache, la taille, ça compte ! ».
Malgré la dimension tragique du récit, la personnalité enjouée de Poirot s'illustre dans des dialogues enlevés qui apporte un humour bienvenu au récit central bien noir porté par une belle galerie de personnages, interprétés avec brio par Michelle Pfeiffer, Johnny Depp ou Daisy Ridley.
Pascal Le Duff.
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