Le grand jeu
Jessica Chastain joue, gagne et perd au grand jeu de poker menteur de la vie. Contrainte d'abandonner sa carrière de skieuse olympique après une vilaine chute, Molly Bloom a peiné pour retrouver un sens à sa vie. De façon inattendue, c'est dans l'organisation de jeux de poker clandestins qu'elle s'est épanouie pendant près de dix ans. D'abord assistante d'un patron capable de réunir des stars, elle crée ensuite son propre empire avant de tomber de son piédestal lorsque la justice et la mafia russe s'intéressent à ses activités à la limite de la légalité. Le cinéma américain s'intéresse souvent à des figures controversées ayant connu leur quart d'heure de gloire pour des raisons peu légitimes. Molly Bloom est l'une de ces célébrités éphémères qui a attisé la curiosité de Aaron Sorkin, l'auteur de la série «À la Maison Blanche» et des films «The Social Network» et «Steve Jobs» qui passe pour l'occasion à la mise en scène, après avoir hésité pour des raisons personnelles : « Je connais certaines personnes décrites dans son autobiographie et j’ai travaillé avec quelques-unes d’entre elles. Et il y en a d’autres avec qui j’aimerais travailler. Il y aussi deux amis à moi. Je refuse de faire un film qui colporte des ragots à leur sujet, ou même au sujet de qui que ce soit d’ailleurs. Lorsque je me suis mis à écrire Le Grand Jeu, il ne m’était absolument pas venu à l’esprit que je pourrais le réaliser. C’est le scénario le plus cinématographique que j’aie jamais écrit, et j'étais donc en terre inconnue. Si j'ai commencé à envisager de relever le défi de la réalisation, c’est parce que j'avais beaucoup de mal à décrire aux techniciens, aux producteurs, à mes amis et même à Molly Bloom ce que j’avais en tête. Je commençais chacune de mes conversations en disant : ‘Ça n’est pas le film que vous imaginez’. Et pourtant, je ne parvenais pas à le décrire, alors que je l’imaginais très clairement ». Maître des longs monologues, des joutes verbales et des personnages s'exprimant avec une clarté que le monde leur envie, Aaron Sorkin a rapidement trouvé l'angle à adopter après avoir rencontré Molly Bloom et compris certaines de ses nobles intentions : «.– J’y ai vu une histoire émouvante comme celles que j’aime raconter, avec une vision idéaliste de la différence entre le bien et le mal. Elle avait entre les mains le ticket gagnant et aurait pu devenir riche et célèbre en révélant des secrets embarrassants, mais elle a refusé de le faire. C’est une attitude que j’admire énormément ». Les héros de cet auteur très américain ne sont jamais franchement sympathiques, souvent portés par une haute opinion de leur destin, que cela soit justifié ou non. Molly Bloom s'inscrit dans cette continuité. Pour lui donner vie, il a choisi Jessica Chastain capable de s'exprimer avec la même faconde que son personnage. « Tout comme Molly, Jessica possède un humour fin et sarcastique. Elle dégage une certaine force de caractère sans avoir besoin de se montrer agressive. Souvent, quand on ressent le besoin de surjouer l’agressivité, c’est parce qu’on manque de tempérament, alors que Jessica, elle, a naturellement un caractère bien trempé. On a trouvé qu’elle avait la sensibilité, la sensualité et la force pour incarner ce personnage complexe aux multiples facettes ». Rassurée par la réputation et le talent de l'apprenti metteur en scène mais aussi par celle qu'elle incarne, l'actrice n'a pas attendu longtemps pour rejoindre le film : « Aaron est l’un des plus grands scénaristes du cinéma américain, si ce n’est LE plus grand. Et j’adore le sens de l’humour de Molly, son intelligence, cette histoire d’outsider qui triomphe — celle d’une femme qui prend le pouvoir dans un milieu exclusivement masculin. Et la vraie Molly Bloom est formidable. J’ai adoré par ailleurs travailler avec la créatrice de costumes. On a voulu dépeindre une femme qui comprend que, pour accéder à des positions de pouvoir dans le milieu où elle évolue, il lui faut avoir une allure bien spécifique. Que les hommes admirent les femmes comme des objets sexuels et non pas pour leur intelligence. Et je voulais montrer cette transformation chez Molly ». L'écriture et l'interprétation nous donnent l'impression de tout comprendre du poker mais ce n'est qu'illusion. Les mots savamment agencés servent surtout à noyer la détresse de petite fille qui rêve de plaire à son père, un mentor trop exigeant joué avec dureté par Kevin Costner. Les discours énoncés et les sous-entendus sur l'intégrité et la soif de reconnaissance ont une fluidité impressionnante mais la narration en voix-off, conventionnelle, n'aide pas à faire décoller un récit trop long. L'excessive bienveillance posée sur cette anti-héroïne empêche d'adhérer à cette histoire. Les échanges verbaux sont brillants, malgré leur véracité que l'on sent pour le moins limitée. Pascal Le Duff
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