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Tragic Kingdom

11h23 - 29 janvier 2018 - par Info Haute-Vienne

Avec « Wonder wheel », Woody Allen signe une tragédie dans le cadre faussement enchanté d’un parc  d’attractions.

Coney Island, à New-York, dans les années 50. Ginny, serveuse, est mariée avec Humpty, opérateur de manège. Malheureuse dans son couple, elle entame une liaison avec Mickey, un maître-nageur plus jeune qu'elle, attentif à ses désirs d'être comédienne. Carolina, la fille de Humpty qu'il avait reniée lorsqu'elle avait fui avec un gangster, revient après cinq ans d'absence. Recherchée par les hommes de main de son mari, elle tombe, elle aussi, sous le charme de Mickey. Il y a quelque chose de Tennessee Williams dans ce drame ancré dans les environs d'un parc d'attractions avec des personnages tristes peinant à surmonter un quotidien trop morne. Un lieu où Woody Allen pensait baser l'action d'un de ses films depuis longtemps…

« Quand je suis né, l’époque florissante de Coney Island était déjà révolue depuis un bon moment, mais c’était encore un endroit magique pour moi. Ce lieu m’a toujours impressionné. Il y avait là une faune de gens hallucinants et il s’y passait des choses étonnantes. On sentait qu’une énergie folle s’en dégageait. Je me suis dit que c’était un environnement hors du commun – et passionnant – pour y situer un film ».

Ginny espérait brûler les planches ou briller sur un grand écran. Elle doit se contenter d'un emploi qu'elle juge indigne d'elle. Sa rencontre avec son amant lui permet de rêver à nouveau de la carrière d'actrice à laquelle elle aspirait avant la disparition de son premier mari. Ce répit dans sa mélancolie ne dure pas, sa belle-fille devenant une rivale potentielle. Comme pour «Blue Jasmine» avec Cate Blanchett, le réalisateur se projette dans les malheurs sentimentaux et sociaux d'une femme.

« Je me suis toujours intéressé aux problèmes des femmes. Au fil des siècles, les hommes ont eu tendance à exprimer moins volontiers leurs souffrances : le mot d’ordre masculin consiste à ne pas avouer qu’on souffre. À l’inverse, les femmes se sont toujours senties plus enclines à afficher leurs sentiments. J’ai essentiellement tourné des comédies mais quand j’ai réalisé des drames, je me suis presque toujours – pas toujours, mais presque – attaché à des femmes dans des situations critiques ».

Kate Winslet est intense en dépressive persuadée d'avoir raté sa vie, captée dans une période de transition qui la fait glisser imperceptiblement de ménagère quadragénaire acariâtre à monstre d'insensibilité. La comédienne a vu cette première rencontre avec Woody Allen comme une opportunité unique.

« J’étais très angoissée parce que je me disais que je ne saurais pas comment m’y prendre, reconnaît-elle. Et si j’échouais, je ne me le pardonnerais pas. Cette femme d’une grande complexité imposait de ne pas en faire un personnage stéréotypé, de ne pas basculer dans l’hystérie, de faire en sorte qu’elle soit crédible – et jamais caricaturale – et surtout qu’elle reste ancrée dans son quotidien sordide. Il a fallu que je me montre à la hauteur des attentes de Woody et que je ne le déçoive pas en trouvant toutes les ressources nécessaires au fond de moi. Ginny pensait qu’elle était bonne comédienne et qu’elle aurait pu faire carrière si elle n’avait pas détruit son couple. Mais je pense qu’elle n’était pas si douée que ça. Heureusement, elle n’a jamais eu l’occasion de s’apercevoir qu’elle était en fait une épouvantable actrice. D’une certaine façon, c’est ce qui rend sa situation plus tragique encore ».

Woody Allen ne nous surprend pas vraiment avec son scénario à l'issue prévisible, avant tout attentif surtout à nous préparer à l'inéluctable. Il dépeint les tourments psychologiques universels d'un petit groupe de personnages reliés par une souffrance extrême. Ginny se laisse aller à un acte douteux, mais il ne la juge pas, comme le souligne Kate Winslet.

« Pour moi, c’est une âme en peine. Comme si elle avait passé l’essentiel de son existence à marcher sur une corde raide et qu’elle était tombée une fois de trop. Désormais, elle rampe sur la corde, sans se mettre debout, ni tomber ».

Pascal Le Duff

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