Julie Gayet, productrice avisée
Amusée, elle se décrit comme « une grande curieuse passionnée ». De fait, Julie Gayet, grande et belle femme souriante, nature, brillante, concrète, discrète, curieuse, carrée et hyper-active, varie les plaisirs avec audace et virtuosité. Née en juin 1972 à Suresnes des amours d'une antiquaire et d'un professeur de chirurgie digestive, elle a d'abord étudié le chant lyrique dès l'âge de huit ans avant de s'orienter vers la comédie à l'adolescence. A dix-sept ans, à l'Actor's Studio de Londres, elle effectue un stage avec Jack Waltzer. Ensuite, elle fréquentera le théâtre-école de Tania Balachova, puis l'Ecole du cirque d'Annie Fratellini, tout en revenant vers le chant lyrique avec Tosca Marmor. Insatiable, elle étudie l'histoire de l'Art, la psychologie et le cinéma à l'université Sorbonne-Nouvelle. En 1993, après un petit rôle dans un épisode de « Premiers baisers » pour la télévision et de la figuration dans « Trois couleurs : bleu » de Krzysztov Kieslowski, elle sera révélée par le cinéaste Antoine Desrosières dans un rôle de funambule pour « A la belle étoile ».
L'envie d'aider les cinéastes
Dès lors, louée pour son côté naturel, elle enchaînera les tournages sous la direction de Costa-Gavras, Philippe Harrel, Elie Chouraqui, Gérard Mordillat, Jean-Charles Tacchella, Michel Deville, Patrice Leconte, Emmanuel Mouret, Benoît Jacquot, Josée Dayan, Bernard Stora, Claude d'Anna, Philippe Le Guay, Granier-Deferre, Bertrand Tavernier (« Quai d'Orsay » avec lequel elle décrochera un César en 2014), etc., glanant au passage le Prix Romy-Schneider pour son rôle de prostituée dans « Select Hotel » de Laurent Bouhnik (1997) ; c'est avec ce film qu'elle outrepasse sa fonction en se rendant à Cannes pour essayer de le vendre à l'étranger en achetant des encarts publicitaires dans des revues spécialisées et en organisant des projections à Paris à l'intention des professionnels afin d'aider à sa sortie en salles. Cet engagement la poussera à créer « Wild Bunch », une société de distribution et de production qu'elle quittera assez vite : « J'étais comédienne, juste maman, et je ne m'étais pas rendu compte de l'aspect chronophage et énergivore qu'une telle activité à plein temps induisée ! » Elle en retint cependant un vécu qui lui sera utile un peu plus tard... Effectivement, sa passion pour le 7° Art et son désir d'aider des cinéastes la conduira, en 2008, à se lancer à fond dans la production en créant avec son amie Nadia Turincev la société Rouge International, « pour bousculer les lignes ». Depuis, elle s'est attachée les services d'une dizaine de collaboratrices : « Que des filles ! Ici, nous ne sommes pas trop pour la parité » s'amuse-t-elle, ajoutant que cette situation ne doit rien à la préméditation ou au sexisme, « mais, sourit-elle, ce n'est finalement pas plus mal ainsi ! » Sans se prévaloir d'un féminisme militant, Julie se bat pour une juste place des femmes dans la société, et, en particulier, dans le cinéma : « On avance, mais, en y regardant de près, pas si vite que ça ! » ; elle témoignera de ce questionnement dans « Cinéast(e)s, un documentaire où s'expriment ses copines Valérie Donzelli, Agnès Varda ou Rebecca Zlotowski.Après Wild Bunch, Rouge International...
Rouge International : dix ans donc d'existence, de travail de recherche de talents et d'aide à la concrétisation de projets portés par des cinéastes d'univers différents. Ici, « Huit fois debout », « La fille du patron », « La taularde », « Des bobines et des hommes » sur une usine de textile bradée par un patron voyou, « Grave », « Tout là-haut », « Visages, villages » de Varda, et ailleurs « Bonsaï, « Le trésor », « Mimosas, la voie de l'Atlas », « L'insulte » (actuellement sur les écrans), « The Ride » de Stéphanie Gillard sur la chevauchée de l'honneur et de la mémoire indienne Sioux Lakota, 450 km à travers le Dakota pour rallier Wounded Knee, lieu de massacre perpétré par le régiment de l'US Cavalry du colonel Forsyth (sorti dans les salles d'art et essai)... Des productions pas toujours faciles à monter, il faut se battre, expliquer, convaincre, revenir à la charge. Financer un film roumain (« Le trésor ») ou chilien (Voix off »), ou un film de genre horrifique (« Grave ») ou sociétal et politique (« L'insulte » du Libanais Ziad Koueiri) n'a rien du parcours de santé ! Il faut souvent se résoudre à un budget limité auquel Julie Gayet a toujours du mal à se contenter : « Il est indispensable de trouver des financements complémentaires afin que le film soit conforme aux ambitions artistiques initiales, question de respect pour les créateurs. En tant que comédienne, je me suis trouvée sur des tournages tellement fauchés qu'il était problématique d'aller jusqu'à la scène finale ! Mon désir de produire tient à ces situations qui mettent tous les protagonistes – acteurs, techniciens, cinéastes – dans le stress, l'angoisse. » Au fait, pourquoi la raison sociale Rouge international ?... « Comme rouge à lèvres, comme la couleur du sang qui circule dans nos veines et quelques fois en est expulsé ; c'est aussi la couleur de la passion, de la révolte, des combats à mener !... »« J'aime Limoges ! »
Passée au Lido à Limoges début février pour présenter « L'insulte », le bouleversant film du Libanais Ziad Doueiri nommé aux Oscars d'Hollywood en qualité de meilleur film étranger (verdict début mars...), Julie Gayet apprécie sincèrement la capitale des arts du feu qu'elle connaît et aime - « la preuve, j'ai un magnifique souvenir en porcelaine que j'accroche à l'occasion à ma boutonnière ! » ; et, quand on lui demande si elle y reviendrait pour les 3° Rencontres cinématographiques, en octobre prochain, elle n'en repousse pas l'éventualité : « Pourquoi pas ?... J'aurai des films à proposer en avant-première... » Par exemple, des films chilien (« Le chemin des morts », adaptation du roman de François Sureau), argentin (« MMM : Meurs, monstre, meurs » d'Alejandro Fadel), français ou turque... L'éventail est large désormais ! Vérifiant du coin de l'œil son portable, Julie évoque ses projets. L'entretien s'arrêtera lorsqu'un texto lui annonce l'arrivée imminente de son amoureux, escorté par les deux gardes du corps auquel il a droit. Une bise, un sourire, et la dame s'éclipse avec grâce après avoir, discrètement, réglé la note du restau. Classe.Ch. McQueen. Photo © Bruno Béziat
0 commentaires