All about Eva
Gaspard Ulliel, faux écrivain, sous la coupe d’Isabelle Huppert, fausse femme fatale… Bertrand Valade, écrivain à succès, fait la rencontre fortuite d'Eva un soir de tempête de neige. En tournée avec la pièce qui l'a rendu célèbre mais dont il n'est pas l'auteur, il peine à trouver l'inspiration. Pressé par son éditeur qui s'impatiente de découvrir son nouveau texte, il pense avoir fait la rencontre qui le sauvera de la page blanche. Fasciné par cette prostituée de luxe qu'il retrouve par hasard, il la revoit, cachant cette relation trouble à sa fiancée. Eva devient sa muse, au risque de jouer avec sa nouvelle vie, ce qui intéressait le réalisateur Benoit Jacquot. « A priori, ce personnage interprété par Gaspard Ulliel a la belle vie, bien qu’il la doive à une imposture, voire une sorte de crime. Il a une ravissante compagne, qui a tout à fait son âge, tout a l’air en place pour que leur avenir soit radieux. Et pourtant, il est comme piégé par lui-même. Il ne trouve comme recours que cet attachement à une femme à laquelle il ne devrait absolument pas avoir affaire. Bertrand s’attache à Eva parce qu’il voit en elle - à tort - sa planche de salut pour se tirer du piège dans lequel il s’est fourré. Par ailleurs, cela m’amuse de retourner le lieu commun, la convention selon laquelle une jeune femme et un homme plus âgé s’attirent presque nécessairement. Là, c’est l’inverse, et ça me plait ». Toujours surprenante, même lorsqu'elle semble se répéter, Isabelle Huppert interprète un être opaque qui ne cherche ni à sa cacher ni à se dévoiler. Indifférente aux autres, elle est moins femme fatale que femme désabusée sur le genre humain. Elle ne révèle que ce qu'elle veut bien laisser percer à jour, sa relation avec un homme en prison éclairant sa vraie personnalité. Il est son moteur, la seule personne avec qui elle révèle sa vraie personnalité. La comédienne retrouve avec plaisir pour la sixième fois Benoît Jacquot après notamment «L'école de la chair» et «Villa Amalia» pour cette adaptation d'un roman de James Hadley Chase. « Ce qui n’a pas changé entre nous, c’est ce que j’éprouve quand Benoît me filme : confiance, confort, plaisir, mystère, complicité, ambiguïté, mélancolie… un cocktail addictif qui me donne envie, qui nous donne envie de nous retrouver. Le plus difficile c’est de faire oublier qu’il y a un personnage, de faire oublier la fiction. Quand j’ai lu le roman, j’ai pensé qu'il aurait pu être écrit pour moi. Très loin d’une image un peu datée de la femme fatale dangereuse. Il y a chez Eva une sorte d’animalité, d’opacité, une manière presque enfantine qui échappe à tous les poncifs du genre. Elle ne se donne même pas la peine d’être ce qu’on imagine qu’elle est. Elle en est d’autant plus dangereuse. Eva est paresseuse au fond, les perruques et les bottes oui, mais les vieux oripeaux éculés de la séduction et de la manipulation, non ». La présence singulière de Gaspard Ulliel lui permet de faire naître un malaise certain en faux écrivain au lourd passé de gigolo qui le rapproche de sa proie. Sa reconnaissance publique est basée sur un mensonge et pourtant il se crée des ennuis en cherchant à percer les secrets de cette femme totalement libre. Il croit être capable de la manipuler afin de trouver l'inspiration mais n'a aucune prise sur elle. Au contraire, c'est son entourage à lui qui devient la victime de son obsession, comme si une malédiction pesait sur son péché originel. En ce sens-là, «Eva» a toutes les qualités du film noir capable de marquer les esprits. Le jeune acteur, césarisé pour «Juste la fin du monde» a tenté de trouver sa place entre le cinéaste et son actrice fétiche, toujours aussi intimidante, ce qui n'est pas loin de nourrir son personnage… « Travailler avec Benoit, c’est se trouver face à ce constat implacable : c’est un cinéaste qui a toujours mis en avant les actrices, les femmes sont toujours le moteur interne de ses films. Je me suis dit : je vais essayer pour une fois que l’homme soit le moteur de l’intrigue. Il y a forcément quelque chose d’intimidant à l’idée de se retrouver en face d’Isabelle. Dès que l’on admire un acteur ou une actrice, il y a une gageure stimulante, mais qui peut être aussi effrayante. Ce supplément de peur peut être un moteur. Chez Isabelle, il y a une maîtrise rare, une précision sans pareille, et en même temps un vrai lâcher-prise. Et aussi une fraîcheur renouvelée de prise en prise qui est totalement ahurissante. C’est un vrai paradoxe : il y a en elle quelque chose de l’ordre du contrôle total, et en même temps, elle arrive à chaque fois à se surprendre elle-même et à surprendre son partenaire. » Malgré une tentative de créer un climat trouble, la mise en scène de cette fascination non partagée manque de l'énergie que l'on décèle chez des acteurs impliqués. Le duel entre le chat et la souris s'éteint, faute de la perversité nécessaire à un traitement vigoureux du sujet. Pascal Le Duff
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