Musique : à la fête ou à l'amende ?
Mercredi 21 juin sera célébrée la Fête de la musique. En Haute-Vienne comme un peu partout en France. Mais, certains dénoncent son dévoiement depuis sa création en 1982.
Officiellement, 1982 est la date qu'on retiendra. Cependant, la Fête de la musique a d'abord été imaginée en 1976 par le musicien américain Joël Cohen qui travaillait alors pour France Musique. Il proposait des « Saturnales de la musique » pour le 21 juin et le 21 décembre lors des deux solstices.
Le 10 juin 1981, André Henry, nommé au nouveau ministère du Temps libre, organise la « Fête de la musique et de la jeunesse » pour célébrer l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir. Ce concert gratuit, réunissant environ 100 000 personnes, inspire Jack Lang, ministre de la Culture, pour créer, avec Maurice Fleuret, le directeur de la musique et de la danse du ministère, la « Fête de la musique », dont le titre initial est « Faites de la musique ! » afin d'inciter les amateurs à se produire. Tous ceux qui grattent les cordes et poussent la chansonnette peuvent s'installer devant chez eux, au coin de la rue, sur un « morceau » de trottoir partagé en bonne entente avec son voisin qui a également sorti le micro !
Mais quatre décennies plus tard, que reste-t-il de cette initiative populaire ?
Aujourd'hui, d'après le ministère de la Culture, plus de 18 000 concerts par environ 5 millions de musiciens ou chanteurs amateurs, rassemblant près de 10 millions de spectateurs, sont recensés chaque année en France pour la Fête de la musique.
DJ HEALER SELECTA
Yvan Serrano, le créateur des Dustaphonics, alias Dj Healer Selecta, se rappelle : « Mon premier concert, c'était pour la Fête de la musique en 1989, rue de la Boucherie à Limoges. J'en garde un excellent souvenir ! Il n'y avait aucune inscription préalable, pas de débordement avec une ambiance bon enfant. On demandait juste l'électricité à un commerçant. Je pense même que ça a été un déclencheur pour devenir musicien professionnel ».
Avant son départ à Londres, où il a passé 25 ans, il a participé à quelques éditions. Or, depuis son retour en France, son statut a changé, étant devenu professionnel. Le 21 juin, il sera à la Friche des Ponts à Limoges. « L'esprit d'une fête pour les amateurs, qui jouent le week-end pour se faire plaisir, existe encore un peu mais les choses ont évolué. Maintenant, une inscription ou une déclaration à la mairie est nécessaire. On est donc loin du bœuf entre amis ou voisins. Ces ''contraintes'' n'ont pas été mises en place pour nuire », les justifiant plutôt pour une meilleure logistique et harmonisation.
FOREVER MADAME
Pas de Fête de la musique pour Benoît de Forever Madame, en tant que musicien. Néanmoins, le patron du restaurant « La Place » situé place des Bancs à Limoges accueille trois groupes. « Forever Madame n'ayant que deux ans, nous n'y avons jamais participé. En revanche, avec les Poors, un tribute des Doors, nous y avons pris part plusieurs fois, explique celui qui a commencé la musique il y a 15 ans. Auparavant, la Fête de la musique était vraiment dédiée aux amateurs. Maintenant, elle s'est presque professionnalisée. D'ailleurs, à cette occasion, il y a une vingtaine d'années, j'ai mixé de la techno sur le parking de la place du Présidial ».
La qualifiant de « plus gros événement de l'année multiculturel et multigénérationnel qui fédère énormément de gens surtout s'il fait beau », Benoît reconnaît toutefois que « la Fête de la musique a perdu un peu de sa fraîcheur et un peu d'organisation était nécessaire pour le respect de la musique de chacun : quand un petit jeune avec sa gratte est à côté d'un sound system, on ne l'entend pas ! ». Avec sa casquette de restaurateur, il avoue que cette soirée est intéressante pour le commerce, la date tombant à point nommé, à la fin de l'année scolaire pour les élèves-étudiants et en amont des départs en vacances.
PASCAL LOTS
Impliqué dans la vie associative, bénévole dans diverses structures culturelles, Pascal Lots propose une animation à Rilhac-Lastours toute la journée du 18 juin. Sur l'affiche, on annonce clairement la couleur : « Faites de la musique acoustic. Viens avec ton instrument, pas besoin d'être pro, juste d'avoir envie de participer, d'échanger et de partager de bons moments. Même si nous aimons bien les amplis, les djembés, les batucadas, nous savons par expérience qu'il est difficile de les faire cohabiter avec les instruments acoustiques. Les DJ ne sont pas les bienvenus pour les mêmes raisons ».
Il analyse : « Au début, la Fête de la musique était sympathique mais elle est devenue une opération commerciale comme la Saint-Patrick, même si clairement après le COVID, les commerçants comme les musiciens ont besoin de travailler. Le public est composé de ''consommateurs'' donc on est dans la surenchère. Certains tournent et cherchent du ''spectacle'' ce qui n'était pas prévu à l'origine de la fête ».
Saxophoniste au sein de l'Harmonie municipale de Limoges, il se produira le 21 juin place Saint-Pierre. Il n'hésite pas à parler de « pollution » les uns avec les autres, et de « cohabitation » sonore compliquée, déplorant « les camions de Dj qui se greffent là-dessus. Ça me chagrine et ce n'est plus l'esprit originel. On a l'impression d'un night-club dans la rue ».
BANDA DE SAINT-JUNIEN
Des regrets, Monique Jacquet, clarinettiste dans la Banda de Saint-Junien, en a aussi. Elle déambulera dans les rues du centre-ville de la cité gantière le 21 juin de 21 heures à minuit. « Nous sommes présents tous les ans depuis 1993, date de la création de la Banda. À l'époque, il n'y avait que nous et l'orchestre de l'Harmonie. Mais il y a de plus en plus de groupes et de moins en moins de places. Quand on arrive devant un groupe statique, on s'arrête systématiquement, mais pas eux ! Trois quarts sont des semi-professionnels ou des pros et il ne faut surtout pas les déranger ! Peut-être que d'ici quelques années, nous n'aurons plus notre place ». Elle évoque le qu'en-dira-t-on par rapport à des établissements qui « monnayeraient » la venue des musiciens, dans une démarche pas franchement bénévole.
Malgré tout, elle se réjouit, d'autant que cette année, la reconstitution de « la forêt de Comodoliac » pour les ostensions apporte un plus à la rue Lucien Dumas. Membre de l'ancienne fanfare L'Étoile Bleue, elle se remémore avec amusement : « En 1986-1987, place Deffuas, nous avons reçu un seau d'eau sur la tête, car apparemment, nous faisions trop de bruit et qu'il était trop tard ! ».
En 2023, même cette spontanéité, qui était l'un des éléments fondateurs de la Fête de la musique version 1982, s'est perdue...
0 commentaires