Le pouvoir reste-t-il genré masculin ?
Les 23 et 24 novembre, les femmes élues sont à l'honneur. Rencontre en Haute-Vienne avec trois d'entre elles. Comment évoluent-elles dans un monde longtemps masculin ?
D'âges et de parcours différents, de partis politiques également, Andréa Brouille, Sarah Gentil et Manon Meunier ont surtout un point commun : elles sont légitimes dans leur mandat. Pourtant avant d'acquérir voire de conquérir cette reconnaissance tant par les hommes que par les femmes, il a parfois fallu batailler, encaisser, et ravaler quelques larmes.
AU PARLEMENT
Selon l'Observatoire des inégalités, avec seulement 36 % de femmes élues parmi les députés, le scrutin de juin 2024 confirme la baisse de leur représentation, entamée en 2022. Entre 2017 et 2024, la part de femmes a chuté de 2,7 points. Jusqu'à la fin des années 1990, elle a stagné sous la barre des 6 % pour ensuite grimper jusqu'à 39 % en 2017. Au Sénat, celle des sénatrices a atteint 36 % en 2023. La parité est donc à l'arrêt au Parlement.
Âgée de 28 ans, Manon Meunier, la députée depuis deux mandants consécutifs de la 3e circonscription de la Haute-Vienne, raconte : « Le monde politique est très masculin, avec de nombreux clichés, et un rapport de force presque quotidien. En tant qu'élue, il faut parvenir à s'imposer. Si les jeunes femmes me remercient car elles ont besoin que leur voix soit portée, le sexisme existe encore notamment avec les adversaires politiques. Lors de ma première campagne, Geoffroy Sardin m'appelait avec insistance ''Mademoiselle Meunier''. Même si sur la circonscription, et avec la population, tout se passe bien, on avance petit pas par petit pas ».
Depuis son arrivée à la chambre basse « avec des codes historiquement très masculins », elle ne peut que reconnaître le manque d'écoute de la parole féminine dans l'hémicycle, des élus lançant à une députée « Chouchou tais-toi ! », et les remarques sur les tenues vestimentaires « maintenant même sur le terrain, j'hésite à mettre un jeans ».
En juin dernier, les électeurs lui ont à nouveau accordé leur confiance, mais elle sait que dans les partis, parfois, les dés sont pipés : « La NUPES a présenté autant de femmes que d'hommes. Au final, davantage d'hommes ont été élus. Peut-être qu'ils ont été positionnés sur des circonscriptions plus facilement prenables ? D'où ce déséquilibre... ».
BASSESSES
Les hommes continuent à occuper les postes de décision. Seules deux femmes, Edith Cresson et Elisabeth Borne, qui a d'ailleurs écrit sur la violence d'être une femme en politique dans son livre Vingt Mois à Matignon (Flammarion), ont été Première ministre depuis le début de la Ve République en 1958.
Les femmes ne représentent qu'à peine plus de 10 % des présidents de conseils communautaires, ne forment que 20 % des présidents de conseils départementaux et elles ne dirigent qu'une région sur trois. On ne compte que 40 % des conseillères municipales, et elles atteignent juste les 50 % des conseillers régionaux et départementaux.
À Bessines-sur-Gartempe, Andréa Brouille, qui avoue avoir été « biberonnée » à la politique, Bernard son père étant déjà conseiller municipal à sa naissance, est maire depuis 2008 : « Bien sûr, on m'a dit que j'étais la fille de mon père, mais j'en suis fière. J'ai été élue par un concours de circonstances, donc je ne me trouvais pas légitime. Alors j'ai travaillé dix fois plus. À cette époque, j'avais trois enfants de 9, 7 et 4,5 ans. Quand on m'interrogeait : ''Vous avez fait quoi de vos enfants ?'', je répondais : ''Je les ai mis à la DDASS car la SPA n'en voulait plus''. Puis ils ont un père. L'aurait-il demandé à un homme ? ».
En 2010, elle est élue conseillère régionale, et devient vice-présidente en 2012, ce qui est une première en Limousin. En 2015, à la suite du scrutin après la fusion des régions, elle siège à Bordeaux et est nommée « questeur aux finances » en 2016. Questeur, pas vice-présidente en charge des finances. « J'ai accepté pensant que je devais faire mes preuves pour gérer un budget de 3 milliards d'euros et trouver 400 millions d'euros. Quand j'étais en commission, les élus hommes me disaient bien : ''Madame la questeur'', ce qui me donnait l'impression qu'ils rabaissaient mon travail. Aussi, j'ai sollicité le président Rousset, qui a accepté que je sois nommée vice-présidente chargée des finances ». En 2021, ce dernier lui propose la première vice-présidence en charge du développement économique et de l'innovation. Encore un domaine où les femmes sont moindres, certaines délégations étant toujours fortement genrées.
« Évidemment, j'ai dû faire face à des clichés, à quelques attitudes blessantes, à des réflexions ''En plus, c'est une belle femme'', ce qui me gonfle ! Lors d'une manifestation sur ma commune, les grévistes m'avaient traitée de sale p.... Le Préfet d'alors, qui était présent, a prétendu que ce n'était pas grave. Je lui ai balancé : ''Et si c'était votre fille, votre femme ?''. De retour dans mon bureau, j'ai eu du mal à cacher mon émotion. Avec les femmes, on s'autorise tout. Il faut avoir du répondant et ne pas se laisser bouffer ».
EN LOCAL
Sarah Gentil, qui rêvait enfant d'être la première femme Présidente de la République, se souvient être « partie pleine d'espoir car j'avais l'impression de toucher mon rêve du doigt » quand l'UMP vient la chercher en 2007, le parti ayant besoin d'une femme « qu'on mettrait là où c'était ingagnable ! ». Élue à la mairie de Limoges en 2008, elle se rappelle combien « il a été formateur de prendre la parole dans la fosse aux lions, de se blinder. Quand tu es une femme dans l'opposition, on te fait sentir que tu es moins bien que les autres ». Dans la minorité comme la majorité depuis 2014, elle impose son fort caractère. Puis, viennent les élections départementales en 2015 où elle est également élue.
Les allusions sur son physique, elle n'en a cure voire elle s'en est servie à bon escient : « Si on pouvait enfin être prises au sérieux au-delà de notre apparence, pour nos compétences. Le regard des autres sur mes tenues, je m'en fiche. Ça ne m'atteint pas car j'ai un socle familial solide. Et la famille, c'est la vraie vie. Pour une élue seule sans un entourage de poids, c'est plus compliqué ».
Aujourd'hui, avec sa vice-présidence de Limoges Métropole, elle cumule trois mandats, s'amusant d'être qualifiée de « carriériste car je suis toujours sous le joug d'un élu homme ».
PROUVER
Pour Manon Meunier, « en tant que femme élue, nous devons davantage montrer que nous sommes capables. C'est une course à la preuve en permanence ». Andréa Brouille ne peut que constater que « les femmes doutent tout le temps, elles s'interdisent, s'autocensurent tandis que les hommes n'ont pas de frein » alors que Sarah Gentil recommande de « ne jamais courber l'échine », pointant « la charge mentale qui pèse sur les femmes ».
DES EXEMPLES
Les nouvelles femmes élues constituent des exemples pour les plus jeunes et créent un effet d'entraînement. La première loi sur la parité en politique a été votée en juin 2000 en faveur de la discrimination positive : l'imposition de quotas a accéléré le mouvement d'égalisation, même s'il a également eu des effets à double tranchant avec l'élection de « plantes vertes » ou de « presse-boutons ».
À celles qui voudraient se lancer, les élues dispensent quelques conseils : « Ne jamais douter, ne jamais se dénigrer, saisir les opportunités. Mieux vaut tenter que regretter car les hommes n'hésiteront pas ».
« Si elles ont envie, faut y aller, se préserver, ne rien s'interdire et nous, nous serons là. Puis, il y a quand même des hommes bienveillants », rassure Andréa Brouille, Sarah Gentil invitant à « s'engager de suite, oser, beaucoup travailler pour mériter le respect ».
MINISTÈRES
Au niveau national, les ministères clés comme ceux de la défense (actuellement Sébastien Lecornu, même si on peut penser à Michèle Alliot-Marie, Sylvie Goulard, Florence Parly), de l'économie (aujourd'hui Antoine Armand) et en charge du budget de l'État (pour l'heure Laurent Saint-Martin, sans omettre Christine Lagarde sous la présidence de Nicolas Sarkozy) restent dans l'immense majorité des cas détenus par des hommes.
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