« L’écriture inclusive est contre-productive »
Poétesse, auteure et journaliste, Muriel Mingau est surtout une passionnée de la langue française. Les mots ne la quittent jamais : elle les écrit, les cultive et les manie brillamment lors de ses articles artistiques et culturels.
Info Magazine : Que pensez-vous de l’écriture inclusive en tant qu’auteure, journaliste, femme et… amoureuse des mots ? Muriel Mingau : L’écriture inclusive est une mauvaise réponse à une excellente question. Comment équilibrer les genres dans la langue ? Y travailler fait partie des moyens pouvant contribuer à équilibrer le statut des femmes et des hommes sur tous les plans. On peut légiférer, militer. Travailler la langue est un engagement de plus qui n’ôte rien aux autres et vient les soutenir. On sous-estime trop le langage, pour lui préférer l’action. Or le langage est action. Il est pouvoir. Une petite phrase peut faire du bien ou du mal à celui ou celle qui la reçoit. La propagande n’a que trop démontré son pouvoir de nuisance. Sous ses airs familiers, le langage est une puissance influente. Aussi, la langue est-elle un lieu où se joue le rééquilibrage des genres et par-là du statut des hommes et des femmes. Mais avec ses diktats, l’écriture inclusive défigure la langue, la rend inesthétique, impraticable pour celui qui lit comme celui qui écrit. Elle pose maints problèmes pédagogiques. Elle est en cela contre-productive, pouvant agacer et renforcer la volonté de rester sur les positions anciennes déséquilibrées pour les deux genres. Info : Comment féminiser les noms, les fonctions… peut-il faire évoluer les mentalités ? M.M. : C’est une préconisation applicable, à l’œuvre déjà dans la langue. La féminisation des fonctions peut faire évoluer les mentalités. Si une petite fille lit « cheffe » ou « ingénieure », elle peut se projeter dans ces fonctions. Le langage brise pour elle le plafond de verre. Si un chef peut-être une cheffe, nous voici au cœur de l’égalité. Le regard du petit posé sur la petite peut s’en trouver modifié. Cette nouvelle représentation mentale porte l’idée qu’il n’y a pas de raison que l’un ou l’une prenne le pouvoir sur l’autre, de manière violente ou insidieuse. Le langage structure la pensée, l’esprit. Celui des enfants est une pâte à modeler. L’aider à se forger avec des mots justes peut favoriser des attitudes justes des deux côtés. Prenons : « le masculin l’emporte sur le féminin ». Peut-être ne faut-il pas changer cette règle pratique mais sa formulation : « dans ce cas, cela s’accorde avec le masculin ». C’est sans doute moins la règle qui fait du mal que le fait d’assener la première formulation sur des esprits en formation. Info : Quelles seraient vos préconisations ? M.M. : Laissons faire la subtilité, la responsabilité et l’usage. Seul ce dernier fait évoluer la langue avec bon sens et harmonie. Pour cette dernière, auteurs et auteures, poètes et poétesses apporteront leur contribution. Il convient à chacun de se poser des questions, d’y apporter ses réponses. Plus jamais, je n’écrirai : « il y a six danseurs sur scène » mais « il y a six danseurs et danseuses. » Je peux aussi user du mot neutre « interprète ». L’écriture inclusive a du bon. Elle fait débat. Celui-là fait avancer les choses en amenant à se positionner, y compris l’Académie française. Après avoir crié au scandale, elle est prête à étudier la féminisation des fonctions. Alors vivement le prochain débat. Lui est productif.Anne-Marie Muia Photo © D.R.
0 commentaires