Marie Rouanet : "Langue des signes : il y a encore beaucoup de retard" (Dossier spécial handicap)
Interprète en français/langue des signes française, Marie Rouanet accompagne les sourds dans les actes de leur vie courante pour rétablir l'équité avec les entendants.
Qu'est-ce qui vous a incité à devenir interprète en langue des signes ?
Au cours de mon cursus universitaire, en 2000, j'ai rencontré pour la première fois des étudiants sourds avec lesquels j'ai sympathisé. Ils m'ont raconté l'histoire des sourds, l'interdiction de la langue des signes, leurs difficultés quotidiennes et cette inégalité entre les sourds et les entendants. J'ai commencé à apprendre la langue des signes et suivre des formations professionnelles bilingues, car je me suis passionnée pour le sort des sourds. J'ai d'abord travaillé au sein d'associations d'insertion professionnelle, puis dans des écoles bilingues sur Poitiers. J'ai été diplômée en 2006. Je suis fière de mon métier car il permet de ramener l'égalité entre les sourds et les entendants afin qu'ils puissent être entièrement associés à notre société.
Diriez-vous que la surdité est un handicap différent ?
Oui, si on considère le handicap sous l'aspect social, car sinon, comme le disait le sociologue Bernard Mottez, les sourds ne sont jamais handicapés tout seuls, ils le sont dans la société, mais ni plus ni moins qu'un entendant ne connaissant pas la langue des signes pourrait l'être au milieu d'eux. L'interprète sert de pont entre deux personnes parlant une langue différente. Je fais juste passer le message d'une langue vers une autre. La perte tardive de l'audition est souvent vécue comme un handicap, alors que pour les sourds de naissance, l'acquisition de la langue des signes est naturelle. Ces derniers ont beaucoup milité pour que cette langue soit reconnue, ce qui est le cas depuis 2005. Mais dans les faits, il y a encore beaucoup de retard, alors que c'est bien grâce à la langue des signes que l'inclusion dans la société peut se faire, quels que soient les domaines.
Cela signifie-t-il que cette langue est accessible à tous ?
Oui, elle s'apprend comme n'importe quelle langue étrangère. Elle est encore trop souvent considérée, à tort, comme un langage, alors que c'est une vraie langue, avec une structure, une grammaire, une conjugaison qui s'affinent au contact des sourds. Elle permet même de faire passer des traits d'humour, sous la forme de jeux de signes. Tout comme on trouve formidable le bilinguisme des enfants dans des familles cosmopolites, il faut aussi accorder cet outil aux enfants sourds, car il conditionne leur épanouissement.
Dans quel cadre intervenez-vous ?
J'interviens là où sourds et entendants sont susceptibles de se rencontrer, dans des administrations, au tribunal, chez le médecin, en milieu scolaire, ainsi que dans des entreprises. Lors des dernières élections municipales, la plupart des partis politiques ont fait appel aux interprètes en langue des signes. Les interprètes sont tenus de respecter un code éthique, qui impose notamment la neutralité dans les échanges et la fidélité dans la retranscription du message. Et nous sommes également soumis au secret professionnel. Cette généralisation de la traduction en langue des signes témoigne aussi de l'évolution des mœurs. Il y a néanmoins encore beaucoup de retard, notamment dans le domaine de la santé. C'est d'ailleurs le cas, à Limoges où malgré les demandes régulières des collectifs de sourds, une unité d'accueil spécialisée, avec des médecins pratiquant la langue des signes, n'a toujours pas été créée. Pour l'heure, le CHU de Limoges communique avec les sourds via des tablettes ou un interprète. Mais, quand les médecins maîtrisent la langue des signes, leur relation avec le patient est plus intime et l'examen plus poussé. Dans certaines crèches, on trouve génial d'utiliser les gestes pour communiquer avec les enfants, alors qu'on ne le fait pas pour les enfants sourds. C'est surréaliste.
Contact : www.marierouanet.fr
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