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J’ai deux amours…

15h13 - 15 mai 2017 - par Info Haute-Vienne

Dans son dernier film, « Les fantômes d’Ismaël », Arnaud Desplechin plonge Mathieu Amalric entre deux amours.

À la veille du tournage de son nouveau long-métrage, Ismaël voit réapparaître son premier amour qu'il croyait morte. Disparue depuis plus de vingt ans, Carlotta est-elle vraiment de retour ou n'est-elle qu'un fantôme ? Étourdi, Ismaël ne sait comment appréhender ces retrouvailles d'outre-tombe. Sylvia, celle qui partage sa vie depuis deux ans, se sent menacée par cette rivale qui semble déterminée à récupérer l'homme qu'elle(s) aime(nt), longtemps brisé par son absence. Le nouvel opus d'Arnaud Desplechin est un tourbillon virevoltant à la construction délicieusement ambitieuse. L'enchevêtrement complexe nous perd sans totalement nous égarer, avec des histoires ancrées pour certaines dans la réalité, pour d'autres dans la fiction, dans le passé ou dans le présent.

« La structure du récit n'était pas facile à mettre en place et le montage était ardu, avec ces sauts de récits qui s'enchevêtrent et s'embouteillent. L'écriture demandait une discipline rigoureuse. Il y avait tout un travail de rationalisation avec mes co-scénaristes pour perdre le spectateur avec délice dans les méandres de cette fiction mais de ne pas le perdre complètement, en le tenant un peu par la main. Le perdre et le tenir par la main, au fond c'est la même activité. Vous arrivez à peu près à vous repérer mais pas complètement. Mais si le spectateur sent que je sais où je vais, il peut prendre du plaisir à être troublé mais pas trop.»

Cotillard

Mathieu Amalric est ce réalisateur tourmenté, déchiré entre deux femmes sous le regard complice d'un auteur dont il partage la carrière, voire une identité, depuis plus de vingt ans. Sa femme «d'hier» est incarnée par Marion Cotillard. Arrivant de nulle part telle une créature sortie des eaux, elle est pourtant humaine dans ses failles et son incapacité à vivre sereinement, Arnaud Desplechin ayant tenu à préserver sa part d'humanité :

« C'est quelque chose qui était très profond et très clair entre Marion et moi - c'est que jamais elle ne le joue comme un mythe. Il y a une réplique que j'aime bien, c'est quand elle arrive et que Sylvia lui propose de lui prêter des vêtements. Elle répond «pourquoi, c'est parce que je pue ?». Voilà, elle ne s'est pas lavée, elle sent donc mauvais, c'est humain. C'est d'ailleurs une chose qui me fascine beaucoup chez Marion Cotillard, cette capacité à être un mythe – car très certainement elle l'est devenue depuis La Môme et cette carrière américaine qu'on lui connaît – et à se débarrasser de ces oripeaux. Elle se réinvente chaque jour. Elle tourne chez les frères Dardenne, puis tourne avec Zemeckis aux côtés de Brad Pitt. Je lui faisais confiance pour faire descendre cette statue de son piédestal. »

Gainsbourg

Très proche par certains éléments, la compagne d'aujourd'hui a un rapport différent à la vie. Charlotte Gainsbourg joue une astrophysicienne et si l'on ne saura rien de l'exercice de cette activité, cela suffit à montrer qu'elle n'est pas dans le même état de flottement que sa «rivale» malgré une réelle fragilité :

« Charlotte Gainsbourg a quelque chose de très précieux pour le rôle. Le feu couve sous les cendres de cette fille qui s'empêche de vivre. Je me disais qu'elle avait cette puissance là et pouvait la canaliser pour jouer Sylvia. J'ai l'impression en la voyant de voir réunies en une seule personne les trois femmes de Hannah et ses sœurs de Woody Allen. »

Craintive, terrifiée à l'idée de perdre l'homme de sa vie, Sylvia est au coeur du récit, de façon presque invisible. « C'est elle qui raconte l'origine de sa relation avec Ismaël. C'est elle qui clôt l'histoire. J'aimais qu'elle devienne la narratrice du film. La façon dont Charlotte prononce la phrase de fin m'émeut aux larmes. J'ai l'impression qu'elle résume bien l'état d'esprit du trio à la fin. »

L'édition 2017 du Festival de Cannes s'ouvre avec cette œuvre foisonnante à la croisée des genres (un peu d'espionnage, une dose de fantastique, un mélodrame romantique), touffue, déroutante mais avant tout émouvante. Présenté hors-compétition, ce très grand moment de cinéma aurait pu prétendre aux plus grands honneurs.

Pascal Le Duff.

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