A la rencontre des Français
La réalisatrice Agnès Varda, 88 ans et le photographe JR, 33 ans, partent sur les routes de France pour prendre en photo les habitants de petits villages avant d'afficher leurs images en grandeur nature sur des supports extérieurs souvent inattendus.
Le duo d'artistes fait de belles rencontres avec des dockers, un facteur, des paysans ou la dernière habitante d'un coron, avec le hasard, relatif, comme guide. Leur travail redonne vie à des lieux abandonnés ou sur le point de l'être. Agnés Varda précise le sens de leur démarche : « Il m’a semblé évident que sa pratique de représenter les gens agrandis sur les murs, valorisés par la taille, et ma pratique de les écouter et de mettre leurs propos en valeur, cela allait donner quelque chose. JR est un artiste urbain et moi j’aime beaucoup la campagne. Très vite, l’idée de villages est arrivée. C’est là qu’on allait rencontrer des gens, et c’est ce qui s’est passé. On est partis avec son camion photographique et magique dont il se sert depuis des années. C’est l’acteur du film, toujours en représentation pour notre projet. On partait dedans ensemble pour ce voyage en France rurale. Par-ci, par-là... » La photo est valorisée comme cet outil indispensable pour enregistrer pour la postérité les derniers instants de longues histoires personnelles et collectives, à travers ce geste artistique pourtant éphémère, appelé à disparaître au bout de quelques petites heures parfois. Le choix des lieux est provoqué par les envies de l'une ou de l'autre de retrouver un lieu ou une époque éloignée, comme ce bunker qui les lie à travers le temps : « J’allais souvent en Normandie faire de la moto sur la plage et j’avais découvert un endroit avec un blockhaus allemand du temps de la guerre, qui est tombé de la falaise, planté au milieu de la plage. J’en parlais à Agnès mais elle ne réagissait pas trop, et puis un jour, je lui ai donné le nom du village et là, ça a fait tilt. Elle m’a dit : « Mais attends, je connais Saint-Aubin-sur-Mer, j’y allais avec Guy Bourdin dans les années cinquante.». Je l’ai emmenée là-bas et elle m’a emmené à la maison de Guy Bourdin, pas loin de là. Elle m’a montré les photos qu’elle avait faites de lui à l’époque. On a marché tous les deux sur la plage et on s’est dit : «Pourquoi on ne le mettrait pas là ? Le collage a été très éprouvant parce qu’il fallait faire vite. Le blockhaus est gigantesque et la marée montait » Agnès Varda ajoute : « J’avais fait cette photographie de lui assis, les jambes droites, mais il a eu l’idée de la coller en le penchant, et en fait, ce blockhaus de guerre devenait un berceau avec ce jeune homme qui se reposait. J’ai été énormément touchée de cette transformation du sens de l’image, de ce que c’est devenu, pour peu de temps, et pfuitt ! un coup de marée, et tout est parti ». Sous notre regard une amitié complice se développe. Agnès Varda veut forcer son partenaire d'odyssée à poser ses lunettes noires, JR refuse de dévoiler ses yeux. Il préfère la taquiner sur son grand âge et veut lui faire parler de la mort et de ses grands disparus. Au-delà de quelques provocations réciproques, ils s'écoutent et se dévoilent avec une relative sincérité, surjouant devant la caméra leurs fâcheries lorsqu'ils se poussent dans leurs retranchements respectifs. « On était chacun le modèle de l’autre. Moi, je l’ai senti comme ça parce que quand on filmait la façon dont il fonctionnes, c’est aussi un portrait de JR et de son travail. De son côté, il t’intéressait aussi à moi, à mes yeux chancelants. Il a photographié de près mes yeux et les a montré de loin. Et mes doigts de pied aussi ! Ses idées me faisaient rire. Son insistance à me taquiner, mais aussi à inventer les images de notre amitié. » Le documentaire travaille beaucoup l'idée de l'éphémère et pourtant, pas de tristesse dans cette idée de disparition programmée, car ce qui compte reste ces échanges avec tous ceux que le duo croise sur sa route, comme l'explique la veuve de Jacques Demy : « C’est toujours ce que j’ai aimé dans les documentaires On passe quelques jours avec des gens, on fait amitié avec eux et puis on les perd, de la même façon que JR les représente avec des grandes images qui sont éphémères, qui vont s’effacer des murs. On a conscience qu’on vit des moments privilégiés. Le moment de la rencontre, le moment du tournage et du collage, et puis voilà ! Ça me plaît beaucoup. »Pascal Le Duff
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